(retranscription : Magali
Jeanmart (Latan)
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Jean-Jacques Goldman achève sa tournée par un dernier concert Bruxellois. Ce spectacle d'une intelligence et d'une dignité peu communes aura ravi 65.000 Belges. Il était temps de lui demander comment il vivait, lui, ce moment privilégié. A une heure du lever de rideau, dans sa loge de Forest National, Jean-Jacques Goldman est d'une décontraction et d'une disponibilité impressionnantes. Étonnantes même si l'on songe que pour ses premières émissions de télévision, puis pour sa tournée de '83, sa soeur médecin avait dû lui prescrire des bêtabloquants, un médicament destiné aux cardiaques mais aussi utilisé un temps par certains sportifs pour effacer le stress. "J'étais physiquement incapable de tenir ma place. J'avais un trac incontrôlable, des nausées." Cette place signifie aujourd'hui bien d'avantage que d'interpréter ses chansons en public. Chaque tournée est une entreprise logistique de masse après avoir été un défi créatif à relever seul. "Ce serait confortable que des gens disent ce qu'il faut faire quand tu enregistres, composes, fais de la promotion et conçois des tournées. Malheureusement, dans ce métier, tu dois tout faire. tes supercollaborateurs sont ceux qui rendront possibles tes idées." Son spectacle 98-99, épatant de simplicité travaillée, de spontanéité recréée et de calculs dissimulés, on a voulu que Goldman l'explique, car au-delà d'un spectaculaire savoir-faire, il illustre une vision hautement respectueuse du public. |
- Commencer seul en scène par une chanson nouvelle, dire ensuite au second degré que les tournées ne sont bien qu'une fois sur deux et qu'ils sont tombés sur la mauvaise, est-ce prendre un risque ? Jean-Jacques Goldman. - Non parce que, depuis quinze ans, je les connais et ils me connaissent. J'étais sûr que ce genre d'humour passerait. Je les pratique, je sais ce que je peux dire sans les offusquer. J'ai hésité à faire cette blague sur la Coupe du monde, mais je crois que je vais la maintenir. (Il nous plaint pour notre déveine d'être tombée sur une équipe aussi forte que la Corée alors que la France a eu la chance de jouer contre le petit Brésil). - Pendant "Quand tu danses", il y a toujours trois mecs qui se sentent obligés de siffler pour combattre l'émotion. Comment réagis-tu ? JJG : Je les entends mais je pense que trois abrutis, c'est très peu et 7.997 silencieux, ça me ravit. Je n'ai jamais de salle hostile mais je ne me mets pas en danger. J'ai refusé de faire les Eurockéennes par exemple (Festival Rock). Au tout début, une fois, j'avais fait une Grande Ecole et, comme à l'époque, j'étais très "boys band", il y a eu beaucoup de quolibets. J'ai dû me battre avec la salle. - A l'opposé, comment se sent-on quand, pour "A nos actes manqués", la salle se soulève de 20 centimètres ? JJG : Je ne suis pas employé de banque à ce moment là (Rire). Ce sont des instants très précieux. Même la répétition de cet effet ne le banalise pas. Je fais de la scène tous les quatre ans. Les six mois de tournée, j'en ai donc été privé pendant longtemps. Johnny et France Gall m'ont raconté qu'à leur époque, ils tournaient onze mois sur douze et donnaient 300 galas par an. Là, forcément, les données sont différentes mais, pour moi, c'est toujours très neuf. |
- Sur "Là-bas", le public chante la partie du duo à l'origine réservé à Sirima, tragiquement disparue. Là aussi le pari semble réel. JJG : Il n'y avait pas de doute mais je savais qu'il fallait d'abord donner au public la conscience d'être ensemble, il fallait les faire répéter. L'idée de la première partie est née de cette nécessité. D'abord on était parti sur un karaoké géant mais sans animateur. Je voulais que les gens commencent à chanter ensemble de manière naturelle. On a tout envisagé et fait des essais. On s'est rendu compte qu'on pouvait entrer en communication avec des petits dessins bien mieux qu'avec un karaoké qui n'allait pas au public. On a fait évoluer le concept de manière pragmatique et on a conçu le spectacle. (Un caméramen capte depuis la scène des images de la salle mises en musique et rendues amusantes par des bulles-commentaires, parfois incitatives à chanter ou bouger). - Dans ce métier, on croise souvent des destins dramatiques. Tu as connu ton lot ? JJG : J'ai eu plus que ma part. Un mois avant sa mort, j'ai chanté avec Balavoine lors d'un concert pour l'Ethiopie. On avait sympathisé. J'ai écrit la chanson des Restos du Coeur pour Coluche et puis Sirima (poignardée par son compagnon)... J'ai quelques manquants. Au point d'avoir demandé à Carole (Fredericks) et Michael (Jones) s'ils étaient bien sûrs de vouloir faire un trio avec moi. - La vie en tournée, c'est une vie en dehors de la réalité ? JJG : Oui et c'est très agréable. J'ai détesté être à Paris la semaine dernière. En tournée, tout nous prépare au concert du soir : la vie dans les hôtels, la prise en charge, les voitures qui viennent nous chercher... Cette irresponsabilité totale me va bien. Etre chez soi puis faire un concert le soir, cela me semble incompatible. Croiser son gardien d'immeuble, voir sa famille, aller manger chez sa mère, recevoir son courrier, ça ne colle pas. On est distrait par des choses. On fait forcément les concerts autrement. - Tu as dit que la vie de chanteur est la vie la plus bête du monde. Comment s'empêche-t-on de la mener ? JJG : Je la vis en tournée, sans responsabilité, à voir presque tout le temps les mêmes gens. Mais on peut s'en échapper dès qu'on est plus sous les projecteurs. La vie normale reprend alors. Ce qui signifie que je prends un taxi et pas un chauffeur, que je fais mes courses au lieu d'envoyer quelqu'un, que je purge moi-même un radiateur. L'autre soir, après un concert devant 6.000 spectateurs, je me suis retrouvé accroupi avec une pince parce que j'avais froid et que je n'ai pas appelé pour qu'on s'occupe du radiateur. Une vie normale, c'est avoir un rapport direct, ne pas faire élever tes gosses par des nurses. C'est la lumière qui fait la différence, qui te décale de la vraie vie. On ne purge pas son radiateur devant un photographe.- Il y a moins d'un an, dans cette loge, Obispo commentait son étiquette de "nouveau Goldman". Qu'est-ce que cela fait d'être "l'ancien Obispo" ? JJG : J'ai été l'ancien Obispo un soir de mars '98. On a donné les deux premiers concerts de la tournée salle Chant fleuri à Saint-Denis de la Réunion. C'était un petit théâtre de 900 places. Les gens étaient assis. Ils étaient au spectacle. ils applaudissaient, poliment. Ce n'est pas une question quantitative. J'ai fait la "Tournée des campagnes" où j'ai joué devant 500 personnes. Là, j'étais devant des gens polis. C'était bien avec moi mais avec Michel Fugain ou Bernard Lavilliers, cela aurait été pareil. tu commences à jouer "Je te donne" et tu as l'impression d'un peu ennuyer comme s'ils pensaient "on la connaît déjà". Je me suis dit : "Voilà, c'est fini. J'ai eu de la chance que cela dure. Maintenant je vais faire des concerts comme tout le monde". Et ça m'a fait chier d'être l'ancien Obispo ! C'était perturbant mais pas si terrible parce que j'ai toujours prévu que cela viendrait un jour. Je ne vois pas pourquoi ne m'arriverait pas ce qui est arrivé probablement à tous les chanteurs. Je suis allé voir Léo Ferré pour un de ses derniers concerts, les gens étaient attentifs mais ce n'était pas comme pour Obispo. Et puis, superbe surprise au premier concert de Rennes, ça repart. Je n'étais pas encore l'ancien Obispo ! |
- Pour cette saison, la Sacem qui collecte et redistribue les droits d'auteur a indiqué que tu étais l'artiste français le plus diffusé par les radios. quand on a l'esprit sportif, est-il satisfaisant d'être ainsi sacré n° 1? Quand on est artiste, est-on rassuré de pouvoir se raccrocher au moins à ces données objectives ? JJG : Non parce que je n'ai jamais été un battant. Je n'ai jamais eu ces exigences-là. Je me raccroche à d'autres faits objectifs qui sont, chaque jour, des rencontres ou des lettres parfois terrassantes. (Il part chercher sur sa table du courrier et commente). J'ai toujours été très attentif, très très. Il y a cette femme qui me raconte sa vie avec ses trois enfants. Je trouve ça bien. Voilà les photos des enfants dont on voit les photos pendant "Les Mains", qui me donnent de leurs nouvelles, une dame me demande de voir sa fille gravement malade. Je ne peux pas toujours faire ce qu'ils espèrent mais je réponds parce qu'il y a la façon dont c'est dit. "Ces quatre dernières années, son seul soutien...", tu l'imagines, tu sais qu'ils sont dans les difficultés, qu'ils mettent tes disques... Etre n° 1 à la Sacem, sans déconner, ce n'est pas grand-chose par rapport à ça. - Après toutes les photos d'enfants pour illustrer "Les Mains", vient l'image de leur instituteur auquel tu rends hommage en disant que chaque jour, il change un peu la vie. Ce métier d'enseignant te semble primordial ? JJG : Je pense que la révolution avec un grand "R" est là et uniquement là. après avoir expérimenté la révolution rouge et noire, ce qui change vraiment la vie, c'est l'éducation. L'éducation est la seule pratique réellement révolutionnaire. Je n'ai pas l'impression que mes textes me donnent un rôle de professeur mais je peux peut-être donner confiance. En exprimant des opinions qui peuvent sembler cuculs, j'aide peut-être ceux qui les partagent à les trouver moins nunuches. J'ai toujours fortement revendiqué le fait d'être un boy-scout. - Tu exprimes régulièrement des opinions à rebrousse-poil du politiquement correct et de cette image de chanteur bien pensant qu'on t'a incompréhensiblement accolée. Tu le fais par provocation ou parce que certaines vérités doivent être dites quoi qu'il en coûte ? JJG : La phrase fondamentale de ma pensée politique est de Lénine : "La vérité est toujours révolutionnaire". Je suis fasciné par Tony Blair, le premier à adopter ce ton et qui martèle d'ailleurs "éducation, éducation, éducation". Il ne faut pas prendre les gens pour des cons. Je ne crois pas du tout qu'ils le soient. - Tes textes sont souvent sans illusion mais ton discours est résolument optimiste. Par esprit de contradiction ? JJG : Bonne idée résume mon quotidien: je suis content d'être là. Mais au-delà d'être heureux ou triste, je suis vraiment optimiste. Peut-être qu'on ne va pas réussir, mais je suis sûr que les choses peuvent aller mieux. |