Salut !
(Décembre 1990)

      (retranscription : Jean-François HERBILLON)

 

Aussitôt l'annonce d'un nouveau JJG pointant à l'horizon, SALUT ! s'est précipité pour vous offrir en exclusivité la première interview.

C'est à Ris Orangis où se déroulait le tournage du clip du premier 45t "Nuit" que nous avons posé magneto et appareil photo.

L'usine désaffectée transformée en plateau de cinéma offrait un décor des plus hétéroclites et tandis que nous nous frayons un passage entre les projecteurs, l'équipe s'affairait au plan suivant.

La guitare à la main Jean-Jacques grattait quelques accords pour les besoins d'une scène.

L'oeil rivé à sa caméra, Bernard SCHMIDT l'habituel complice réalisateur dirigeait la séance au milieu d'une vingtaine d'assistants et techniciens.

Curieux, Claude GASSIAN, le photographe préféré de Jean-Jacques et moi-même dispersions nos regards. Dans un coin transformé en appartement, deux danseuses bavardaient avec Michael JONES. Près d'un atelier de peintre reconstitué, Carole FREDERICKS bouquinait... Ici et là régnait une atmosphère décontractée liée à la bonne humeur de toute l'assistance.

Trois jours plus tard, "clap dernière", le clip était en boîte et Jean-Jacques nous confiait les nouvelles toutes fraiches de sa vie artistique.

Salut ! : Après plusieurs mois loin de l'affiche, décembre 90 sonne le retour
de Jean-Jacques GOLDMAN ; parle-moi de tout ce temps.

JJG : En fait, II ne s'est pas passé tant de temps que cela car  la tournée s'est terminée en Août 89 et je suis immédiatement reparti sur celle des  "enfoirés". Donc entre les répétitions, les concerts, puis l'album qu'il a fallu mixer,  superviser, et pour finir un peu de promotion, ça nous a mené, en gros, à décembre  89. De janvier à octobre 90, j'ai préparé le nouvel album. Je l'ai enregistré à partir du mois d'avril.

Salut ! : Quelle a été la motivation pour cette "tournée des enfoirés" ?

JJG : Franchement, j'en avais un peu marre de tourner (cela faisait 18 mois) mais je trouvais l'idée assez bonne et j'aimais bien les gens qui y participaient.

Salut ! : Excitant de chanter ensemble, de reprendre en duo les chansons des  autres ?

JJG : Oui et puis c'était original de partir en tournée à 5.

Salut ! : C'était une bande de 5 joyeux drilles : Johnny HALLYDAY, Eddy  MITCHELL, Michel SARDOU, Jean-Jacques GOLDMAN et Véronique SANSON ?

JJG : C'était très sympa, mais tu sais on est des grands garçons maintenant, alors l'esprit bande... (sourire)

Salut ! : Tu renouveleras l'expérience ?

JJG : Je ne suis pas tellement pour refaire ce qui a été. Je suis sûr qu'on peut trouver encore d'autres idées. Il faut essayer de faire preuve d'originalité dans ce genre  d'événements.

Salut ! : Lorsqu'en janvier tu t'es mis à ton album, les chansons étaient déjà  écrites.

JJG : En quelque sorte. J'avais une douzaine de "pistes", donc il a fallu s'enfermer, les faire aboutir une à une et ensuite les enregistrer.

Salut ! : Tu travailles toujours chez toi ?

JJG : Pas vraiment. Mais j'ai un endroit à moi, où je peux m'isoler pour travailler.  Parfois, je pars pour écrire les textes.

Salut ! : Le concept de ce disque est nouveau puisque J.J.GOLDMAN chanteur laisse place au trio FREDERICKS-GOLDMAN-JONES.

JJG : Oui. Le fait d'avoir chanté sur scène avec eux m'a influencé pour écrire de cette façon-là, pour plusieurs chanteurs. Dans les chansons on se répond, on chante  ensemble. C'est une chose qui m'a redonné envie. J'ai eu l'impression de faire quelque chose de nouveau. Quant à l'album, il aurait pu s'appeler "voix et guitares" parce que ces 2 éléments sont les plus travaillés, les plus présents. Les voix, les choeurs, les guitares... C'est ce que j'ai toujours préféré...

Salut ! : Présente nous tes partenaires.

JJG : Carole FREDERICKS est une américaine dont les capacités vocales sont  incroyables. Elle nous a rejoint. Sur scène en 86, puis sur disque, et peu à peu j'ai  découvert la show-woman, l'actrice... le personnage.

Michael JONES est anglais. Il est né une guitare à la main. et depuis "TAï PHONG", où on s'est rencontrés, on n'a cessé d'être complices, sur scène, sur disque, et dans la vie. Pour moi c'est un grand guitariste et une grande voix.

Salut ! : Au delà du plaisir de chanter à 3, tu n'as pas été guidé par un ras le bol d'être devant, d'être monté en épingle par les média...

JJG : Je ne peux pas dire que ces choses-là me pesaient vraiment ou m'empêchaient de vivre comme je le souhaitais. Simplement après ce qu'on avait échangé sur scène, je ne me voyais pas recommencer mon énième album, tout seul.

Salut ! : La scène est, j'imagine, la suite logique de cette aventure vynilique.

JJG : Bien sûr. D'ailleurs on est déjà en train de travailler dessus. En ce qui concerne Paris, on essaie de trouver un endroit en plein air qui ne soit pas immense...donc qui n'existe pas (rires). On aimerait retrouver l'ambiance des arènes où l'on joue en été à Fréjus, Nîmes, Orange...

Salut ! : Des tas de choses se sont passées cette année sur le plan musical. Il y a eu entre autres, l'arrivée de Roch VOISINE, l'explosion de Patrick BRUEL,  la confirmation d'ELSA, Vanessa PARADIS, Mylène FARMER... Tu as suivi cela de très près ?

JJG : Bien sûr. C'est comme tout. Il y a aussi des personnes qui m'intéressent et  d'autres moins. Je crois qu'il y a surtout deux choses qui m'ont touchées mais qui ne sont pas franchement nouvelles : c'est Philippe LAFONTAINE que je trouve très  étonnant et la confirmation de la voix de MAURANE, prodige à mon avis. Chacun a des qualités et mérite ce qui lui arrive.

Salut ! : On a l'impression que les choses se réveillent côté variétés ?

JJG : Absolument. Globalement, je trouve bien ce qui se passe et les surprises de cette nouvelle génération sont plutôt positives.

Salut ! : Quelle est ta réaction face au courant rap ?

JJG : Je n'y suis pas très sensible.

Salut ! : A la house ?

JJG : Ca a beaucoup apporté sur le plan rythmique programmation...

Salut ! : Tu as vu des concerts récemment ?

JJG : J'ai presque tout vu. Je vais voir tout ce que je peux.

Salut ! : La légende raconte que tu te glisses dans la foule avec chapeau ou  casquette et moustaches. Est-ce vrai ?

JJG : Non ! J'attends juste que les lumières s'éteignent.

Salut ! : Le premier single extrait de l'album est un titre lent, intimiste. Il reprend un thème qui revient souvent dans tes chansons : "la nuit".

JJG : Oui. je ne l'ai pas inventé ce thème là... (sourire). Je crois qu'il n'y a pas un seul artiste qui ne parle pas de la nuit dans ses chansons. Personnellement j'ai une tendance à vivre ainsi. J'écris la nuit. Je me réveille la nuit. Je suis plus opérationnel à partir de minuit...

Salut ! : On a dit que les années 80 étaient les années GOLDMAN. On a parlé de "génération GOLDMAN". Les 90 le seront-elles aussi ?

JJG : Je crois qu'il y a une question d'âge quand même. Les années 90 ne seront pas les "années Léo FERRE" par exemple. Si on dit ça. c'était en terme de succès, mais aussi d'identification. Et ça, c'est incontrôlable, ça passe. Je ne pense pas que quelqu'un de 15 ans puisse s'identifier à quelqu'un qui en a 40... Comme moi.

Salut ! : Peut-être aussi parce que les mots, les messages collaient à une  génération...

JJG : II n'y a jamais vraiment eu de messages, de discours dans mes chansons. Je crois que c'était plutôt une attitude, une façon de penser qui a correspondu à ce que ressentaient certains à ce moment là. Et ça ne peut pas durer éternellement.

Salut ! : A l'approche de la quarantaine, tu as toujours la même envie, la même pêche par rapport à ce métier ?

JJG : Je n'ai jamais eu une grande pêche et une grande envie par rapport à ce métier... (rires)

Salut ! : C'est le hasard qui t'y a mené ?

JJG : Un peu oui. Je n'ai jamais été un forcené du succès et de la réussite. J'ai toujours apprécié énormément, mais ça n'a jamais vraiment été très essentiel.

Salut ! : A partir du moment où ça a marché, tu t'es quand même mis à fond  dedans.

JJG : A fond...? J'en ai fait beaucoup moins que la majorité, non ? J'ai peut-être fait plus de musique, mais pour tout ce qui est métier, "service après vente", je ne peux pas dire que je me sois foulé... dans l'ensemble (sourire).

Salut ! : Au bout de 6 albums, as-tu eu peur de te répéter ?

JJG : Evidemment, le problème se pose plus aujourd'hui. J'ai écrit 60 chansons et  inévitablement j'ai plus le risque de me répéter, de me plagier. C'est un danger.

Salut ! : Tu es un créateur studieux, scolaire ?

JJG : Oui, sûrement. En général, je suis plutôt plus sérieux que les autres. Je ne  sais pas comment ils travaillent mais j'ai l'impression d'y passer plus de temps. C'est  peut-être parce que je suis plus lent, et que je ne suis pas du tout un improvisateur.

Salut ! : Peux-tu chiffrer le temps pour faire une chanson ?

JJG : Ça dépend il y a des chansons comme "je marche seul" par exemple qui ont pris dix formes différentes, d'autres refrains... Donc j'ai mis beaucoup de temps à les bâtir, plusieurs mois. Il y en a d'autres comme "comme toi" ou "nuit", qui viennent en deux heures ou une nuit. Ensuite il y a juste une semaine, quinze jours de travail dessus, pour rectifier la tonalité, trouver le bon tempo, les arrangements.
Mais en gros au bout d'une nuit, la chanson est presqu'intacte. Ça dépend beaucoup
des chansons.

Salut ! : Tout te monde attend le retour de GOLDMAN. Il y a une curiosité autour de toi...

JJG : S'ils m'attendent seul, ils vont être déçus là... (sourire)

Salut ! : Au bout de la sixième, une sortie d'album t'angoisse ou bien c'est la  routine ?

JJG : Pour moi, arrivé à la sortie du disque, c'est fini. Tout ce que j'avais à vivre sur cet album est passé. Donc là, il sort, c'est bien mais à la limite, je ne me sens plus tellement concerné. Je l'ai été terriblement ces douze derniers mois. J'ai été inquiet, enthousiaste, déprimé. J'ai vécu toutes les phases, toutes les émotions, mais maintenant je sais que j'ai fait du mieux que je pouvais donc pour moi c'est fini. Je vais reprendre du poids ! (sourire)

Salut ! : Quand même ça te ferait mal qu'il ne plaise pas ?

JJG : Franchement non !

Salut ! : S'il ne se vendait pas, ça pourrait te faire arrêter ?

JJG : Non, mais de toutes façons, c'est tout à fait possible tu sais, je suis allé voir mon chanteur préféré il y a trois semaines, à Paris : Bruce HORNBY. Il a été couronné meilleur arrangeur cette année aux USA. Je l'ai revu 15 jours après pianiste de GRATEFUL DEAD, un des plus grands groupes US. Il va produire le prochain DYLAN. C'est vraiment un mec immense, pourtant ce concert, un des plus beaux  que j'ai vu, s'est joué devant 50 personnes et l'album que j'écoute sans arrêt, a dû se vendre en 44 exemplaires. J'ai vu des concerts nuls avec 150 000 personnes, en play-back même ! Là, je viens de lire que Milli Vanilli ont vendu 7 millions d'albums sur lesquels ils n'avaient jamais chanté etc... etc... Bref le fait d'avoir du succès est une chose très très agréable mais qui ne peut pas intervenir dans une démarche  artistique.

Salut ! : Au-delà de l'aspect artistique, il y a ta sensibilité propre ?

JJG : Je le vivrai de la même façon que j'ai vécu le succès, c'est-à-dire avec  détachement. Je crois d'ailleurs que je suis mieux armé pour l'insuccès que pour le succès (sourire).

Salut ! : As-tu des chansons fétiches dans ton répertoire ?

JJG : Non, je ne sais pas. Il y a des chansons que je n'ai pas reécoutées depuis 5, 6 ans, que j'ai presque oubliées comme "si tu m'emmènes", "je chante pour ça", "Jeanine médicament blues". Comme ça sur l'instant, je te citerais "je te donne" et "il suffira d'un signe".

Salut ! : Avec quel état d'esprit abordes-tu ce retour, serein ?

JJG : Tu sais, je n'ai jamais été très angoissé, du genre "est-ce que ça marche",  "M'aimes-t-on encore", j'ai toujours pris ce qui m'arrivait avec de la surprise et du   plaisir. Sans se gâcher les choses, je ne suis pas de ceux qui se prennent la tête en disant : "je suis numéro un quelle horreur !" Je suis surtout content de voir qu'il y en a d'autres qui vont prendre la relève. J'ai l'impression d'être un peu mieux à ma place, à côté de gens de mon âge qui font leur métier sérieusement, tranquillement, avec envie, plutôt qu'être un phénomène de "génération GOLDMAN" un peu ridicule.
Ces clichés m'ont gêné alors que je suis plutôt soulagé que ça se termine.

Salut ! : Constant, ce métier ne semble pas t'avoir changé ?

JJG : Si, je crois que oui. Tout le monde change et on ne peut pas vivre ce que j'ai vécu pendant dix ans et en sortir indemne. Au bout de ce chemin on n'est pas pareil.
Mais de toute façon, on ne choisit pas...

Salut ! : C'est une question de destin ?

JJG : En tout cas, ça a plutôt été le choix des autres, plutôt que le mien. On peut  dire qu'on a choisi d'être vétérinaire en bossant, en passant le concours, mais  personne ne choisit un jour d'être "chanteur célèbre". On est choisi. On ne peut que constater.

Salut ! : Beaucoup de chanteurs en rêvent pourtant...

JJG : Beaucoup, mais pas moi. La vie est injuste... très injuste ! (rires)

Nicole KORCHIA

 

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