Retranscription : Sandrine Mazière
Les 24 et 25 avril 1998, Jean-Jacques Goldman s'est produit au Summun. La prestation proposée fut d'une incroyable qualité et d'une intensité époustouflante. Par rapport aux tournées précédentes, il nous paraît incontestable que JJG s'est rapproché de son public. Tout en évitant la démagogie, il ne manque pas de manifester sa gratitude et son amitié aux spectateurs. D'ailleurs, le public le lui rend bien. Le concert se déroule en deux parties : la première est "acoustique", la seconde "électrique". Le spectacle dure 2 h 20 mais ne laisse aucun répit à la foule envoutée. Toutefois, JJG n'en abuse pas et s'interdit par là même de délivrer quelque "message" qui répondrait aux problèmes contemporains. JJG n'est pas prophète, il le sait, et n'endosse pas une veste qui n'est pas la sienne Néanmoins, nous avons tenté d'obtenir son opinion personnelle (et non des réponses universelles) sur quelques sujets. Hélas, certaines réponses sont trop courtes parce que le temps fut compté : Jean-Jacques Goldman l'a déploré, mais il nous a permis d'esquisser le portrait d'un "Goldman-chanteur", et d'un "Goldman-citoyen". |
GOLDMAN CHANTEUR - Quels sont les facteurs déterminants qui font qu'une chanson a du succès ? "Dieu merci, il n'y a pas de facteurs quantifiables c'est une espèce d'alchimie impossible à contrôler et qui fait qu'il y a un équilibre entre les mots, des notes, une voix, une arrangement et une chance. Parfois, on a l'impression d'avoir tous les ingrédients mais cela ne touche pas les gens. C'est difficile à expliquer". - Si un de vos enfants vous demandait de lui écrire une chanson, que feriez-vous ? "Il faudrait qu'il soit très brillant. Je les respecte trop pour les pistonner." - Quel regard portez-vous sur la production musicale française ? "Je trouve un peu bizarre que les artistes principaux en 1998 aient tous dépassé la quarantaine. Je crois que c'est vraiment une spécificité française et qui n'est pas bonne. Oasis, U2 avaient 25 ans à leurs débuts. Je crois qu'on a un gros problème avec la presse en général et sa façon de voir la chanson qui, à mon avis, est une erreur. Cela pénalise beaucoup la production française." - Dans votre album "En passant", on trouve la chanson "Le coureur" dans laquelle on parle d'un enfant africain séparé de sa famille contre de l'argent pour devenir un athlète international. A la fin vous dites : "Est-ce un bien, un mal ? C'est ainsi." La chanson paraît critique, mais à cause de cette conclusion, vous semblez vouloir, à mon avis, artificiellement "botter en touche", ne pas vous engager, ne pas délivrer de message "Je ne dis jamais "Il y a des problèmes dans le monde, et moi j'ai des réponses". Sur l'exemple du coureur, je me pose la question et ma conclusion ne botte peut-être pas en touche. Certains diraient : c'est super ! Cet enfant a échappé à une vie dans sa hutte misérable ! D'autres, les "politiquement corrects" diraient que c'est un scandale de polluer cet homme propre, par notre société capitaliste, matérialiste. C'est immodeste, mais dire "C'est ainsi" c'est dire que cet individu a pu connaître d'autres gens, une autre vie par hasard "Botter en touche" me semble moins politiquement correct que l'une ou l'autre des deux opinions traditionnelles. " - Vous disiez "je ne ferai pas de carrière à rallonge", "je partirai sans prévenir". Or, je constate deux faits : d'une part vous restez, et d'autre part, vous écrivez pour les autres. Avez-vous changé d'avis ? "Il n'y a pas de contradiction. Dire "Je partirai sans prévenir" ce n'est pas dire "Je partirai bientôt". Le critère de fin sera la fin du plaisir et de l'envie. Mais, 9 fois sur 10, le critère est que les gens ne veulent plus de vous." - Sur le plan musical, que vous reste-t-il à faire ? Quelque chose vous vient à l'idée ? "A l'idée. Johnny Hallyday ? Non, je plaisante. Franchement, je n'ai jamais rêvé ce qu'il m'arrive et je suis bien au-delà de mes rêves "
GOLDMAN CITOYEN - Vous avez soutenu Jacques Glassman (footballeur à Valenciennes) quand il fit éclater l'affaire OM-VA et que tout le monde s'acharnait contre lui Que devient-il ? Avez-vous encore de ses nouvelles ? "Oui, je le vois dés qu'il vient en France, je le vois aux concerts, au moment des répétitions. Je crois que la fédération s'occupe un peu de son cas si j'ai bien lu "l'Equipe" récemment." - Que pensez-vous de l'action des juges contre les hommes politiques ? "Je préfère le pouvoir des juges plutôt que l'abus de pouvoir des hommes politiques. S'il faut choisir entre plusieurs maux, je préfère cet abus des juges, qui en Italie, a plutôt fait du bien au pays. Mais, que la démocratie et la sagesse mettent des barrières à leur pouvoir, il faut le faire à l'évidence. Tout pouvoir a tendance à avoir ses abus. Mais la tendance qui consiste à donner aux juges plus de pouvoir me semble une bonne chose." - Que pensez-vous du paysage politique français qui, à l'issue des régionales montre "une gauche plurielle bis" (cf début des années 80) et une droite dont on ne connaît plus les limites ? "Je porte un regard extrêmement précis sur cette situation, mais ma qualité de chanteur ne me donne pas le droit ni la compétence pour en faire part médiatiquement. Je réserve cela à des discussions de bar ou de famille, comme tout le monde ( ). Il ne faut pas confondre notoriété et compétence, comme les médias ont beaucoup tendance à le faire. Des gens compétents existent pour répondre à ces questions et je les écoute avec beaucoup d'intérêt. Il me semble donc sage de me taire." - Aujourd'hui, on parle abusivement de "fracture sociale". Dans une de vos chansons, vous l'exprimiez en disant "Des malins qui parlent haut, des oubliés privés de mots". L'abstention aux régionales semble vous donner tort. Les oubliés ne sont plus privés de mots par ces "malins qui parlent haut", mais ces "oubliés" semblent ne plus vouloir la parole "L'exemple typique est celui des U.S.A. où une population considérable ne vote pas et s'exclut de la vie citoyenne. Le problème est plus que politique : il est social et aussi touche aux médias. Mais je crois beaucoup aux capacités de réaction de la nature humaine, et je crois qu'il y aura une réaction à cet excès négatif de la démocratie." - Qu'est-ce qui vous laisse espérer aujourd'hui ? "Je suis extrêmement attentif et réconforté par l'expérience anglaise actuellement. Elle me semble porteuse d'équilibre et d'assimilation des expériences du XXème siècle : socialisme, libéralisme, cohésion sociale, exclusion. Ce que fait Tony Blair me paraît intéressant et me rend optimiste." |