FREQUENSTAR FGJ
M6 - 05.12.1993

(retranscription : Maryline Prevost)

(Laurent Boyer attend près d'une jeep, avec Carole Fredericks, quelque part dans le désert. Des motos arrivent).

Laurent Boyer : Stop contact ! J'ai une surprise pour vous : directement des Etats-Unis, Mlle Carole Fredericks.

(Carole descend de la jeep).

Laurent Boyer : M. Michael Jones et M. Jean-Jacques Goldman. Le trio est réuni pour un Fréquenstar. Vous êtes OK ? On se le fait ? Ça fait un moment qu'on attend ! Là on y est, et en plus on est au Maroc pour le raid moto. Les trois sont là.

Fréquenstar - Fredericks - Goldman - Jones, c'est parti !

(Laurent Boyer, Michael Jones et Jean-Jacques Goldman sont assis sur une chaise, en plein désert. Michael sert de perchiste).

Laurent Boyer : Jean-Jacques, Fréquenstar, Fredericks - Goldman - Jones.

D'ailleurs, on a un perchiste assez élégant, M. Michael Jones, merci Michael. Fréquenstar ici, dans le Moyen-Atlas, l'anti-atlas est un petit peu plus loin, le haut-atlas derrière, en plein Maroc, à Ouarzazate. Tu m'as dit, on va faire ce portrait ici parce que je vais faire une grande balade au Maroc, quelques jours à moto avec mes amis. On va commencer par le début, parce que tu sais que c'est ça, en fait, le principe de cette émission, c'est d'attaquer par le début.

Troisième d'une famille de quatre enfants, Alter Mojze, qui vient de Lublin en Pologne, et de Mlle Ruth Ambrunn...

(Photo de Jean-Jacques nourrisson).

Jean-Jacques Goldman : ... Madame... Elle était mariée...

Laurent Boyer : Ah ! Mme Ruth Ambrunn, qui vient de Munich.

Jean-Jacques Goldman : Oui. Qui est née à Munich.

Laurent Boyer : Comment t'étais enfant ? Jusqu'à 5 - 6 ans ? Dissipé ? Agité ?

Jean-Jacques Goldman : Moi je n'ai jamais été ni dissipé... Ni agité...

(Photo de Jean-Jacques en compagnie de camarades de classe, assis à une table, à l'école primaire).

J'étais... J'allais dire grisâtre, mais c'est péjoratif. Sans histoire quoi.

Laurent Boyer : Vous habitiez où ?

Jean-Jacques Goldman : Je suis né à Paris dans le XIXè arrondissement, Avenue Gambetta, et vers l'âge de 6 ans, en 57, dans ces eaux-là, nous avons déménagé dans la banlieue parisienne.

Laurent Boyer : Montrouge.

Jean-Jacques Goldman : Oui.

Laurent Boyer : Bien. Le violon, tu vas l'attaquer à quel âge ? Parce que la musique, toi tu vas y venir assez tôt. Qu'est-ce qui te met à la musique ? C'est ton désir ou c'est le désir de tes parents ?

Jean-Jacques Goldman : Ce sont mes parents. Pour mes parents, un de leurs challenges fondamentaux, c'était d'avoir des enfants très bien intégrés à la société française. Parmi ces signes d'intégration, le fait de faire de la musique faisait partie de ça.

Laurent Boyer : Je crois savoir, j'ai vu quelque part ton ancien prof de violon dire que tu étais relativement doué, mais que tu étais un peu fainéant. Genre, il est doué mais il ne veut rien faire.

Jean-Jacques Goldman : Je n'étais pas, oui... C'est une caractéristique qui m'a suivi et qui continue à me poursuivre. Je parle pour la fainéantise !

(Extrait de la prof de violon parlant de Jean-Jacques).

Laurent Boyer : Ça t'ennuyait l'école ?

Jean-Jacques Goldman : Ouais.

Laurent Boyer : Passionné par quoi, par les filles ?

(Photo de classe de Jean-Jacques, qui a environ 15 ans).

Jean-Jacques Goldman : Ça me paraissait tellement inaccessible ! Tu sais, j'étais très très décalé. Les autres étaient coiffés, ils avaient des vêtements à la mode. Nous, on était dans un monde un peu à part. J'avais des culottes courtes jusqu'à je ne sais pas quel âge, je faisais mon violon, j'étais boy scout. Les autres, ils allaient au café tout ça. Je me sentais toujours... Je n'étais pas comme eux quoi !

Laurent Boyer : Vers 15 - 16 ans, au moment où tu vas rentrer en seconde, à peu près, parce que tu vas quand même faire une seconde l'air de rien ?

Jean-Jacques Goldman : Oh oui, non, mais oui...

Laurent Boyer : Tu vas former un groupe en fait, tu commences à écouter le Big Bronxie.

Jean-Jacques Goldman : Je rencontre un gars en seconde, un type qui jouait du blues à la guitare.

Laurent Boyer : Et c'est quoi ? Est-ce que c'est la rencontre avec une forme de musique particulière ? Est-ce que ça t'a touché le blues ?

Jean-Jacques Goldman : Oui, ça n'aurait pas été lui, ça aurait été quelqu'un d'autre. On est attiré par certaines choses et puis les personnes, les rencontres, sont des prétextes. Mais si on loupe ce wagon là, on prend le wagon d'après. C'est-à-dire... je pense que ma rencontre avec le blues, elle était inexorable. Je ne sais pas pourquoi.

Laurent Boyer : Est-ce que tu découvres les filles à cet âge là ? 17 ans ?

Jean-Jacques Goldman : 16 - 17 ans, oui. C'est la musique... c'est la musique qui permet. Quand tu ne sais pas parler, la musique fait que tu leur parles.

(Photos de Jean-Jacques avec une guitare à cette époque).

Laurent Boyer : Tu ne savais pas parler aux nanas ?

Jean-Jacques Goldman : Personne à 17 ans, sauf quelques cinglés, savent parler aux filles !

S'adressant à Michael Jones : Ça t'intéresse Michael ce qu'on dit ?

(Michael Jones, impassible).

Laurent Boyer à Michael Jones : Tu savais tout ça Michael de Jean-Jacques ?

Michael Jones : Non...

Jean-Jacques Goldman à Michael Jones : Tu me dis ce que je dis, je peux dire le contraire si tu veux.

Laurent Boyer à Jean-Jacques Goldman : Tu veux dire que tu inventes ?

(Laurent Boyer fait semblant de mettre une gifle à Jean-Jacques en riant).

Laurent Boyer à Michael Jones : Tu savais tout ça ?

Michael Jones : Non.

Laurent Boyer : OK. Pour continuer, est-ce que tu savais qu'il avait été clavier dans un groupe paroissial, de gospel... tu savais ça ?

Michael Jones : Ca oui.

Jean-Jacques Goldman : On a été rechanter dans la même église d'ailleurs.

Laurent Boyer : Ah bon ? Comment un type qui jouait de la guitare devient clavier ?

Jean-Jacques Goldman : Je jouais du clavier depuis l'âge de six - huit ans, comme je te l'avais dit. Après, j'ai fait un peu de violon. Je me débrouillais au clavier. Ce type là, que j'ai rencontré, qui jouait du blues, faisait partie d'un groupe de gospel dans une église, dans une paroisse. Et il y avait un orgue électrique, ce qui était une denrée extrêmement rare à cette époque-là. Ils avaient besoin d'un clavier. "I got the job" comme dit Carole !

Laurent Boyer : Et t'étais clavier dans une église. Vous avez même créé un groupe qui s'appelait les Red Mountain Gospellers.

Jean-Jacques Goldman : A la demande générale, comme on avait beaucoup de succès, comme on faisait le plein dans l'église, le prêtre nous a proposé d'enregistrer un petit disque (Photo du disque et de la pochette) sous le nom de Red Mountain Gospellers. Les Gospellers de Montrouge, quoi.

Laurent Boyer : A la même époque, tu vas commencer à découvrir le rock, enfin, des choses un peu différentes je crois. Le flash, ça a été quoi ? Hendrix ?

Jean-Jacques Goldman : Le premier flash, ça a été Aretha Franklin, ça c'est sûr. Après... Tu sais... on est dans quelles années là à peu près ?

Laurent Boyer : 68 - 69.

Jean-Jacques Goldman : Alors là, t'avais une semaine au hit parade les Beatles, la semaine d'après les Stones, la semaine d'après Ten Years After, la semaine d'après Cream, la semaine d'après Deep Purple, Chicago. C'était monstrueux. C'était une époque où chaque semaine quelqu'un inventait quelque chose.

Laurent Boyer : La musique évoluait, quoi. Le rock a apporté beaucoup dans ces années-là pour toi ? Par rapport à la musique j'entends.

Jean-Jacques Goldman : Ce qui s'est passé, c'est qu'à partir de ce moment-là, le rock a commencé à être introduit dans la variété française, par des gens comme Polnareff, des gens comme Charlebois, Ferré, qui jouait avec le groupe Zoo, des choses comme ça, et ensuite Berger, qui lui a donné une autre dimension. A mon avis.

(FGJ interprètent "Rain" dans l'émission).

(Laurent Boyer et Jean-Jacques sont désormais dans un salon).

Laurent Boyer : Magie télévisuelle, on est sortis du désert de l'Atlas, du Moyen-Atlas où on était à l'instant, parce qu'il caillait un peu, on est à côté d'un petit feu, le soir, et on est en 75, tu sors de l'armée.

Jean-Jacques Goldman : Oui.

Laurent Boyer : Pas mauvaise expérience, d'après ce que tu m'as dit. Tu as appris des trucs ?

Jean-Jacques Goldman : Non, disons que c'est plus une expérience abstraitement nécessaire que concrètement utile. Disons que je trouve que c'est bien de l'avoir fait. Je trouve que c'est bien qu'il y ait cette armée.

Laurent Boyer : Tu trouves ça bien qu'il y ait cette armée ???

Jean-Jacques Goldman : Oui, une armée populaire, je trouve ça bien.

Laurent Boyer : C'est mieux qu'une armée de métier ?

Jean-Jacques Goldman : A mon avis, oui. Je trouve que c'est mieux...

Laurent Boyer : ... Qui peut se retourner un jour contre le peuple, par exemple, pour l'armée de métier.

Jean-Jacques Goldman : Je sais pas...Il y avait Clemenceau qui disait : "la guerre, c'est une chose trop sérieuse pour qu'on la confie à des militaires". L'idée, que les gens se sentent concernés, c'est bien. C'est bien quand c'est fini aussi.

Laurent Boyer : Justement, quand c'est fini, il y a une petite fête organisée parce que tu vas te marier, en 75.

Jean-Jacques Goldman : Ouais.

Laurent Boyer : Qu'est-ce qui t'a séduit chez ta femme ?

(Long silence).

Jean-Jacques Goldman : C'est difficile. Je ne sais pas si on se marie parce qu'on a envie de vivre avec quelqu'un ou parce qu'on a l'impression qu'on ne peut pas vivre sans. C'est bizarre.

Laurent Boyer : Une phrase d'auteur.

Jean-Jacques Goldman : Je ne sais pas...

Laurent Boyer : Après 18 ans de mariage, tu en penses quoi du mariage ?

Jean-Jacques Goldman : Ouh la la !

(Et là, vlan, JJ prend une gorgée de thé et en renverse sur sa chemise. Il sourit).

Laurent Boyer : T'en penses que ça fait couler mon thé sur ta chemise ?

Jean-Jacques Goldman : Vous venez de voir un acte manqué en direct ! Les psychiatres sont en train de prendre des notes...

Laurent Boyer : Parce que t'as écrit quelques chansons sympas sur le sujet, je trouve.

Jean-Jacques Goldman : Du mariage, on peut en parler pendant des heures. Il fut un temps où le mariage était plus une espèce d'association où chacun tenait son rôle, et une association qui était extrêmement tenue pour des raisons pratiques et économiques. L'amour était quelque chose de presque subsidiaire. C'était un petit plus, mais avant tout, un homme cherchait une femme pour qu'elle soit à la maison, la femme avait besoin d'un homme pour survivre, il fallait faire des enfants, il fallait laver le linge. C'était une association qui fonctionnait comme ça, pour toutes ces raisons. La preuve, c'est qu'il y avait beaucoup de marieurs, par exemple, dans certaines religions et dans certains régions, et ces mariages là fonctionnaient très bien. L'amour était un luxe. Maintenant, on arrive à un moment où il y a des machines à laver automatiques, où les femmes travaillent, où on a des micro-ondes avec des plats congelés, et on n'a pas besoin l'un de l'autre. Il y a même la télé quand on s'ennuie. La seule chose qui fait tenir un mariage, c'est l'amour. Là, ça devient plus compliqué.

Laurent Boyer : Il y a une redéfinition des fonctions, et des individus l'un par rapport à l'autre. L'homme par rapport à la femme et la femme par rapport à l'homme.

Jean-Jacques Goldman : C'est à dire... il y a une absence de fonctions, parce que moi, je peux laver mon linge, et elle n'a plus besoin de mon salaire. A partir de ce moment-là, pourquoi on est ensemble ? Parce qu'on veut, parce qu'on a envie. C'est juste le désir d'être ensemble.

Laurent Boyer : Merci d'avoir répondu à ces petites questions de généralité sur le couple. Enfin, donc, en 75, tu te maries, et cette même année, il va y avoir la naissance d'un groupe, enfin, ce n'est pas vraiment une naissance, parce que quelque part, il était déjà là Taï Phong, il était déjà dans l'air. Il va y avoir un tube en 75, c'est "Sister Jane".

Jean-Jacques Goldman : C'était un groupe dont les deux investigateurs étaient d'origine vietnamienne, et Taï Phong, ça veut dire "vent", "grand vent", quelque chose comme ça.

(Extrait du clip "Sister Jane").

Laurent Boyer : Cette même année, il va y avoir une rupture, une césure dans ta vie, la mort de ton frère Pierre, assassiné à coups de pistolet devant chez lui.

Article de Libération : "Pierre Goldman a été assassiné hier à 12 h 30 à Paris au sortir de son domicile. Peu après le commando de tueurs, sous le nom "Honneur de la police" a revendiqué l'assassinat."

Laurent Boyer : Ton frère était un personnage étonnant. Le Venezuela... politiquement engagé. Est-ce ça a à cette époque-là, en dehors de la souffrance affective, est-ce que ça va donner pour toi par la suite des décisions, des prises de conscience ou des opinions différentes, dans ta façon d'être ?

Jean-Jacques Goldman : Pas précisément. C'est probablement quelqu'un qui a compté comme tous les gens qui te sont proches ou qui sont de ta famille comptent. Parce que tu les connais, parce que tu passes du temps avec, que t'essaies de les comprendre, que tu vis leur paradoxe, leurs mystères... et Pierre, c'est un mystère. Voilà donc, probablement confusément ces gens influent sur toi, comme toi tu influes sur eux. Mais ça n'a pas été un moment ou une circonstance déterminante qui fait une fracture dans une vie.

Laurent Boyer : Politiquement, t'étais comment toi en 79 ?

Jean-Jacques Goldman : Moi, j'étais politiquement musicien, c'est-à-dire... J'étais aussi un peu atypique aussi dans ma famille dans le sens où toute ma famille et tous les enfants étaient très militants. Et moi, j'étais... Moi, j'achetais des guitares et j'apprenais les accords. Ceci dit, j'étais intéressé par les conversations à table, les événements dans le monde parce que c'était, disons la culture familiale. Mais bon, j'étais toujours dans une ligne "sociale - traître" comme ils disaient. Moi, je dirais simplement un peu sociale démocrate classique de laquelle j'ai jamais varié.

(FGJ interprètent dans l'émission "OH WELL" du groupe FLEETWOOD MAC).

(Laurent Boyer en compagnie de Carole Fredericks).

Laurent Boyer : Alors, revenons à cette époque. En 77, tu travailles au Belle Hélène, tu chantes... et en 79, tac, tu vas te pointer en France.

Carole Fredericks : Et oui, un jour j'étais dans mon bureau. C'était au 48ème étage, et je me suis dit... si vous restez ici un an de plus, sûrement tu vas sauter. Tu vas sauter. J'en pouvais plus. Et je me suis dit, bon écoute, je prends le risque, je suis pas si nulle, j'ai la foi, je chante quand même un peu bien. Je me suis dit, je vais aller tenter ma chance. Et sinon, je pourrais toujours dire, j'ai vu la tour Eiffel, j'ai vu l'arc de Triomphe, j'étais là-bas.

Laurent Boyer : Et là va sortir, je résume, quelque chose d'étonnant, car c'est presque un conte de fées pour toi, parce que tu vas sortir un disque sous ton propre nom Carole Fredericks and the Black Orchidee. (Pochette du disque à l'écran). Et c'est produit par un Monsieur de chez Carla Music à l'époque. Qu'est-ce que tu te dis à ce moment-là ? C'est le Midas' Touch, c'est une chance extraordinaire ?

Carole Fredericks : Moi, je me suis dit, parce que j'ai beaucoup de foi, c'est la chance et c'est le bon Dieu. Et j'étais dans la bonne place, au bon moment, quoi. C'est trois semaines après que j'ai déménagé en France ! Mais c'est quand même incroyable !

(FGJ interprètent "Think" dans l'émission).

(Changement de lieu, Laurent Boyer et Jean-Jacques sont dans un souk).

Laurent Boyer : Jean-Jacques, posé tel un Pope ou un curé orthodoxe presque sur son siège, presque le triptyque, on est ici au souk de Ouarzazate dans une échoppe avec tout cela peut comporter d'atypique pour nous. Et ça tombe bien car on va parler du typique Goldman, le 81, c'est-à-dire l'arrivée de la notoriété et du premier album. Alors comment ça s'est passé ce premier album, les textes qui sont sur ce premier disque, comment t'en viens à signer ce disque chez Epic, à cette époque là ?

Jean-Jacques Goldman : En fait, moi, je sortais donc d'une expérience de groupe depuis longtemps qui avait été parallèle à mes études. L'idée ne m'avait jamais effleuré de pouvoir devenir chanteur, quoi... Donc, à ce moment-là, j'avais commencé à bosser après mes études, normalement. Et par contre, je pensais que j'étais capable d'écrire des chansons pour les autres. Donc... entre 78 et 81 à peu près, par un concours de circonstances, j'ai été amené à rencontrer un jeune éditeur qui commençait aussi, qui s'appelait Marc Lumbroso, et qui me demandait des chansons qu'il essayait lui de placer aux autres. Dans l'échec quasiment le plus total, ça n'intéressait pas grand monde. Et évidemment à chaque fois que je présentais des chansons, je chantais sur les maquettes. Et un jour, une maison de disques les a entendues chantées par moi et ils m'ont demandé si ça m'intéressait de le faire moi-même.

(Extrait clip "Il suffira d'un signe", suivi de "Il suffira" 92 et live dans l'émission).

Laurent Boyer : 81, aussi c'est évidemment un bouleversement socio politique, politique en France surtout. Comment tu vis ce changement ? Est-ce que t'attendais ce changement de 81 ?

Jean-Jacques : Pour moi, la phrase politique de base en ce qui me concerne, c'est une phrase qu'a dit Lénine, qui dit "la vérité est toujours révolutionnaire." Moi, je pense que c'est ça. Et je pense qu'une expérience qui démarre sur le mensonge ne peut pas marcher. Pour moi, c'était cuit d'avance. Dès 1981.

Laurent Boyer : Tu le savais ?

Jean-Jacques Goldman : Ouais.

Laurent Boyer : En 81, je t'aurais posé la même question, en 81, tu m'aurais dit ça ?

Jean-Jacques Goldman : Oui, en 81, je savais que ça allait être une expérience qui allait échouer.

Laurent Boyer : Et pourtant t'as voté ?

Jean-Jacques Goldman : Et je n'ai pas voté pour... J'ai voté blanc pour que ce soit tout à fait clair.

Laurent Boyer : Ah... ça c'est une surprise ! Je pensais que t'avais voté socialiste honnêtement. On apprend des choses tout le temps.

Jean-Jacques Goldman : Je pense qu'un mec de gauche ne pouvait pas voter pour le programme commun. Ce n'est pas possible. Mais enfin bon... chacun sa vision des choses.

Laurent Boyer : La préparation du second album qui sortira en 82, donc très rapproché évidemment, "Quand la musique est bonne", enfin je l'appelle comme ça parce qu'il n'a pas de nom non plus.

Jean-Jacques Goldman : Il en avait un aussi... Il s'appelait Minoritaire celui-là. Y'a une chanson qui s'appelle Minoritaire dessus. "Papa quand je serai grand, je sais ce que je veux faire, je veux être minoritaire." Refusé par la maison de disques aussi. Enfin, c'est bien parce qu'ils n'écoutaient pas les disques avant. Donc, ils me laissaient en studio tranquille avec le producteur. On se débrouillait tous les deux et à la fin, bon... ils intervenaient sur la pochette. Voilà, ça va s'appeler comme ça... Si c'est possible que non...

Laurent Boyer : Qu'est-ce que tu penses de cet album, justement Minoritaire, enfin le deuxième Jean-Jacques Goldman ?

Jean-Jacques Goldman : Je crois que c'est le meilleur album que j'ai fait. Le deuxième, oui...

(Jean-Jacques interprète dans l'émission le début de "Comme toi", entouré de Carole et Michael).

Laurent Boyer : En plus, c'est l'album qui va t'amener à la scène. Tu vas rappeler Michael Jones, à ce moment là. C'est toi qui appelles Michael Jones, l'ami. Il y a une certaine fidélité quand même. On sent là une filiation, une fidélité. T'aimes bien t'entourer des gens que t'aimes et que tu connais depuis un moment, ça évite les surprises ?

Jean-Jacques Goldman : Ce qui sont des caractéristiques d'infidélité totale puisque je leur demande justement de les apprécier et d'être bien avec eux et tout ça, ce qui ne dure jamais. En fait, je suis assez infidèle. Et si je reste avec Michael, c'est, je dirais par intérêt, dans le sens où je trouve que c'est le meilleur là où il est, et sur le plan humain et sur le plan technique et sur plein d'autres plans. S'il faillissait sur un de ces plans, je serais infidèle. Il n'y a pas l'ombre d'un doute.

(Laurent Boyer et Michael Jones assis au bord d'une piscine).

Laurent Boyer : Alors tu vas venir. Tu vas commencer à t'insérer dans la tournée, tu vas préparer la première tournée avec Jean-Jacques... ça sentait le Band de Taï Phong ?

Michael Jones : Non pas du tout. C'était un groupe formé surtout de musiciens du studio français, très connus. Que moi, je ne connaissais pas du tout. Au départ, l'intégration, euh... Parce qu'y'avait la trouille en plus. Parce qu'il y avait des mecs qui avaient une sacrée réputation... C'était un peu comme la première fois où je suis monté sur scène. Et ce qui a brisé la glace, c'est un jour, on a répété "Dust my blues", parce que bon c'est vrai, j'ai une façon de jouer de la guitare qui est le mien, mais j'étais pas un guitariste comme Clavy Houston qui pouvait jouer n'importe quoi et bien. Moi, j'ai un style qui est à moi. J'ai jamais été un guitariste polyvalent. Et là, j'ai chanté "Dust my blues", et là ils sont tombés sur le cul. Et là, ça a brisé la glace. Et là, ils se sont dit : a"h, putain, il sait chanter, ce mec-là !" Et voilà, c'était çà !

Laurent Boyer : Après t'étais accepté totalement, quoi...

Michael Jones : Oui, à partir de ce moment-là, y'avait une espèce de respect mutuel.

(FGJ interprètent dans l'émission "Dust my blues").

(Laurent Boyer et Jean-Jacques Goldman).

Laurent Boyer : Un bon souvenir de tournée. Parce que c'est quelque chose de neuf pour toi, ça a été un bon souvenir ces petites tournées, la rencontre avec ton public, celui qui t'aime ? Tu prends de l'amour, là.

Jean-Jacques Goldman : Le fait de pouvoir palper de façon tangible une relation avec ces gens là. J'aime pas l'expression "ces gens là", je sais pas quoi dire d'autre. Et qu'était une des choses je dirais les plus tendres que j'ai vécues, la façon dont ces gens-là peuvent t'aimer, la façon dont ils peuvent écouter tes chansons, dont ils peuvent les recevoir... je me suis pas habitué à ça. Je trouve que c'est d'une tendresse infinie, oui.

Laurent Boyer : parce que tu n'as jamais eu cette attitude vis-à-vis de quelqu'un sur une scène ?

Jean-Jacques Goldman : Si, mais je pensais pas que d'autres gens pouvaient l'avoir comme je l'ai eu.

(Extrait clip "Un, deux, trois").

Jean-Jacques Goldman : Avant que ce soit une amie, je trouvais que c'était...

Laurent Boyer : Professionnellement clean...

Jean-Jacques Goldman : Oui, plus que clean. Je trouvais effarant ce qui se passait quand elle arrivait sur scène. Elle a une générosité, une, je ne sais pas comment dire. Enfin, il suffit d'aller la voir. C'est une nature sur scène ; Et je disais, c'est scandaleux de ne pas profiter de ce talent-là.

Laurent Boyer : Tu vas sortir "Positif" en 84 qui sera le troisième album. L'écriture de ces textes s'est faite quand ? "Envole-moi", "Encore un matin", "Américain"... ça s'est fait un peu sur la route et un peu chez toi ou est-ce qu'il y avait encore du fond de tiroir qui datait ?

Jean-Jacques Goldman : Voilà, on peut dire que c'est le premier album où je n'ai plus de réserve. C'est-à-dire, toutes les chansons quasiment... Enfin, je ne me rappelle plus des chansons de cet album-là...

Laurent Boyer : "Envole-moi", "Encore un matin", "Américain"...

Jean-Jacques Goldman : ... étaient des chansons nouvelles. Voilà. Le stock était épuisé, et c'était des re-compositions.

Laurent Boyer : Qu'est-ce que tu penses de l'album "Positif" maintenant avec le recul ?

Jean-Jacques Goldman : Je pense que ce qui est le plus important dans cet album, c'est que c'est la pochette la plus hideuse qu'ait jamais été faite dans l'histoire du disque. A part ça... Ah si, autre chose. C'est sur cet album et sur la tournée qui a suivi que j'ai rencontré Carole.

(Changement de personnage : Laurent Boyer et Carole Fredericks).

Carole Fredericks : Un beau jour, le téléphone sonne. Je dis "allo". Y'a quelqu'un qui dit : "Bonjour, est-ce que je peux parler avec Carole Fredericks ?" Je dis "oui, c'est elle-même". Et il dit "bonjour, c'est Jean-Jacques Goldman" ; Et moi, j'ai commencé à rigoler parce que je dis "ah bon"... Et là, il me propose de chanter une chanson dans son spectacle, "Américain". Et bon, moi, j'étais ravie. Et moi, je dis, "mais oui !" Et j'ai ri tout le temps. Et il m'a dit : "Pourquoi tu ris tout le temps ?" Et je dis : "parce que ça me plaît énormément, c'est toi qui m'appelle".

(Jean-Jacques, Carole et Michael marchent dans le désert. Au loin, des montagnes enneigées. "Envole moi" en fond sonore).

(Retour dans le salon, Laurent Boyer et Jean-Jacques Goldman).

Jean-Jacques Goldman : Le luxe, c'est un bouquin, le luxe, c'est un film de Woody Allen. C'est une fille nue sur une plage. C'est le soleil qui te traverse la peau. C'est cinq potes en train de faire de la moto ici au Maroc. Et tout ça est gratuit. Quasiment. Franchement, je ne crois pas que le luxe ce soit des bijoux en or, bouffer huit kilos de foie gras, ou avoir une douche... euh...

Laurent Boyer : avec des boutons en or, c'est ça.

Jean-Jacques Goldman : ... oui, enfin chacun sa notion du luxe. C'est le temps, le luxe... ça, je l'ai.

(FGJ chante dans l'émission un extrait de "Knocking on Heaven's Door").

Jean-Jacques Goldman : Tu sais quand un type écrit une chanson sur la faim dans le monde... Je suppose qu'après, il va manger un sandwich. Il a jamais souffert de ça. Mais cette chanson est la sienne quand même. Parce que le fait qu'il ait été touché par ça... Bon et quand t'as veillé un pote ou une femme qui est détruite de l'intérieur et obsédée par une autre personne et qui ne comprend pas comment cette personne ne peut pas être ému par ce qu'il ressent, je pense que sa peine devient la tienne.

(Extrait clip "Pas toi").

(Jean-Jacques assis sur un petit muret, la casquette verte étoilée de rouge vissée sur la tête).

Laurent Boyer : 1986, c'est également pour toi, un album très important. Celui de Johnny Hallyday. (Pochette de l'album "Gang" à l'écran avec en fond un extrait de "J'oublierai ton nom") Alors comment s'est passé ce contact avec Hallyday ? Il faut dire que Johnny avait fait au préalable l'album avec Michel Berger.

Jean-Jacques Goldman : Oui, qui a été l'album décisif à mon avis sur la deuxième partie de sa carrière.

Laurent Boyer : Alors, cette rencontre avec Johnny. C'est une demande, c'est les producteurs ou c'est Hallyday qui dit "tiens, moi je vais faire Goldman" ?

Jean-Jacques Goldman : Il se trouve que j'étais dans une maison de disque qui s'appelait CBS. Et dont le patron était Alain Lévy et qui est parti chez Polygram, maison de disques de Johnny Hallyday. A ce moment là, étant donné le succès de l'album de Michel Berger, plus que le succès commercial, disons la réussite du concept de l'association entre un grand interprète et un auteur-compositeur, Alain Lévy a souhaité que ça continue. Et c'est là où lui m'a approché en me demandant si je voulais être le second pour coopérer avec Hallyday.

(FGJ interprètent dans l'émission "Toute la musique que j'aime").

Laurent Boyer : 1987, un an plus tard, donc l'album "Gang" d'Hallyday va sortir. Bel album de Hallyday, pas mal de titres que l'on va entendre, et puis toi, tu prépares autre chose. "Entre gris clair et gris foncé". Un double album.

Jean-Jacques Goldman : Tu sais les titres tu les donnes à la fin. En général, tu fais des chansons. Ces chansons, elles viennent des trois années que tu viens de passer. Elles en sont un peu la photographie. Y'a toutes tes préoccupations, les choses qui t'ont accompagné pendant ces trois ans qui ressortent la-dessus. C'est un peu comme un carnet de bord presque. Voilà...

Laurent Boyer : Une fois de plus, un constat. "Elle a fait un bébé toute seule", c'est un constat d'époque. Des choses qui arrive à un moment donné et précis, qui sont en harmonie avec ce que t'avais en tête.

Jean-Jacques Goldman : Il y a de ça. Et puis aussi ta façon de le voir étant donné ton âge, de ce que t'as vécu. C'est peut-être le constat de se dire que dorénavant les choses ne seraient ni toutes blanches, ni toutes noires, mais "entre gris clair et gris foncé", et qu'il faudrait bien faire avec, quoi !

Laurent Boyer : Constat une fois de plus ! En revanche, sur ce disque, y'a un 45 tours qui s'appelle "La-Bas", un clip vidéo d'ailleurs, avec une demoiselle qui s'appelle Sirima. Quel a été ce désir d'enregistrer avec elle, de chanter avec Sirima ? Comment c'est venu ?

Jean-Jacques Goldman : C'est la chanson. J'ai fait la chanson, elle était prête. Elle était enregistrée. Et il me fallait la voix féminine.

(Extrait du clip "Là-bas").

Laurent Boyer : En revanche, il s'est passé quelque chose aussi dans les années 80, c'est la disparition de Coluche... Je présume que ça a dû gravement te toucher. Quels sentiments tu as sur ce personnage, toi qui l'a connu, qui a travaillé avec, et qui en plus a fait beaucoup pour Le Restos du cœur ?

Jean-Jacques Goldman : C'est clair qu'on avait des points communs dans nos origines, dans notre banlieue puisqu'on habitait la même, dans notre façon de voir les choses sûrement. Et la première fois que j'ai été en contact vraiment avec lui, c'était à Canal +, je crois, et lui faisait "1 Faux". Je venais de sortir "Je te donne". Et il est venu me voir, en me disant : "Voilà, je fais un truc qui s'appelle "Les restos du coeur", comme tu sais. On veut faire un disque et gagner beaucoup d'argent. Comme c'est toi qui fait des disques qui marchent, il faut me le faire". Alors je dis "okay, ça parle de quoi ?" Il me dit, "j'en sais rien". "C'est avec qui ?" "J'en sais rien". "C'est pour quand ?" Il me dit, "c'est pour la semaine prochaine".

(Extrait clip des Restos).

Laurent Boyer : Alors, comment cette tournée s'est montée avec Véronique Colucci ? La première tournée j'entends, quand vous étiez plusieurs en scène.

Jean-Jacques Goldman : C'est une idée, maintenant quand j'y repense, qui me semble complètement impossible. Moi, j'ai donné mon accord, Sardou a donné son accord, Hallyday a donné son accord. Véronique a dit, on a leurs accords. Tout semblait très simple et tout a été très simple. Ce qui s'est passé, c'est que l'année d'après, il ne s'est rien passé. J'ai demandé aux Restos : "Comment se fait-il qu'il ne s'est rien passé après la tournée des enfoirés ?" Ils m'ont répondu : "on a personne pour s'occuper de ça". Et nous, tu le sais bien, toute la journée, on est sollicité par beaucoup de choses. A chaque fois, on dit, c'est pas mon boulot, je suis pas fait pour ça, etc. Et là, je me suis dit, si c'est pas notre boulot de faire un spectacle, c'est le boulot de qui ? Et donc, j'ai contacté Véronique. J'ai dit : "faisons quelque chose, c'est pas possible de laisser ce qui a été fait comme ça, essayons de prendre un rythme, que tous les ans, il y ait un rendez-vous médiatique, donc financier pour les Restos". Et ça a l'air de tenir pour l'instant.

Laurent Boyer : Et tu t'en occupes. Enfin, c'est toi qui monte les plateaux. On se retrouve avec des duos extraordinaires, des artistes qui viennent et qui se prêtent au jeu...

Jean-Jacques Goldman : C'est pas pour faire de la fausse modestie mais on est quatre-cinq à s'occuper de ça.

Laurent Boyer : Et c'est plutôt réussi dans l'ensemble.

Jean-Jacques Goldman : Pour l'instant oui.

Laurent Boyer : Et on aura en plus un spectacle... Enfin, je sais que tu prépares quelque chose pour cette année pour les Restos.

Jean-Jacques Goldman : Oui, ce qu'on essaye, c'est qu'il y ait une émission parce qu'incontestablement, maintenant, on peut le regretter ou pas, même les oeuvres les plus désintéressées ont besoin d'un coup de projecteur médiatique, et le coup de projecteur médiatique, ça s'appelle maintenant télévision. Et donc il faut qu'on soit des pros des émissions de télé.

(Extrait concert des Enfoirés : "Stone").

Laurent Boyer : 1990, il y a l'album. Celui que j'appelle "Franky Goes to Hollywood", donc Fredericks-Goldman-Jones, par ordre alphabétique, ça tu t'en expliques assez longuement. En revanche, tout le monde a été assez surpris de retrouver Goldman en trio. Alors que c'était une carrière solo. Alors d'aucuns ont pensé que Goldman allait choper la quarantaine, qu'il était peut-être temps d'avoir un autre public, que les gamines allaient pas forcément suivre, que Bruel était arrivé, que Roch Voisine était en place, qu'est-ce qui s'est passé dans ta tête ? Je fais l'avocat du diable... mais je pose la question.

Jean-Jacques Goldman : Non, enfin, moi j'ai eu l'impression que ce qui était atypique, c'était plutôt la période où j'étais tout seul. Ma culture, mon habitude, ma façon de voir la musique, elle est en groupe. Les gens qui sont nés dans les années cinquante n'envisagent pas, je pense, la musique autrement qu'en groupe. Pendant quinze ans, j'ai joué dans des groupes, j'ai joué dans Taï Phong. Bon, il se trouve qu'après j'ai fait une aventure solitaire entre 81 et 89, mais qui était finalement assez courte et qui était intéressante. Mais déjà sur scène, je montrais bien les limites de cette solitude. J'aimais bien être à plusieurs. Je pense que la musique, c'est quelque chose qui se partage.

(Laurent Boyer et Michael Jones assis au bord d'une piscine).

Laurent Boyer : comment Jean-Jacques va te présenter le Fredericks-Goldman-Jones ? Comment il va te l'amener ?

Michael Jones : A l'époque, c'était pas Fredericks, Goldman et Jones. A l'époque, c'était : J'ai un problème sur le prochain album. On était en voiture, entre deux galas, je sais pas où, en tournée. Jean-Jacques dit : "J'ai un problème sur le prochain album, les chansons, je peux pas les chanter tout seul". Il m'a exposé le problème comme ça. Et il a dit : "Donc, je voudrais que tu les fasses avec moi, mais il nous faut une troisième personne." Mais pour le moment, on n'avait pas choisi. Et il se trouve qu'à ce moment là, on était en train de faire la musique du film "l'Union Sacrée" avec Carole.

Laurent Boyer : Elle chantait "Brother".

Michael Jones : Voilà... En travaillant les choeurs sur la tournée, plus ça, on s'est rendu compte que on pouvait chanter tous les trois ensemble, on prend une chanson qu'on connaît un peu tous, on chante et paf, ça sonne.

Laurent Boyer : Les harmonies vocales se placent presque naturellement...

Michael Jones : Naturellement et les voix se mélangent bien ensemble. Trois personnes qui chantent super bien ensemble, c'est pas forcément bien. Et là, y'a vraiment une couleur. Donc Jean-Jacques a dit "qu'est-ce que t'en penses si on faisait avec Carole ?" Moi, j'ai dit : "Ouais, c'est bien". Et un jour, on rentrait justement d'une séance pour cette musique de film en avion. On était au Bourget. On attendait l'avion pour redescendre dans le Sud, et on a annoncé ça à Carole. Elle savait plus quoi dire.

(Retour au salon, Laurent Boyer, Carole, Michael et Jean-Jacques).

Laurent Boyer : Alors, concernant les tournées et l'éloignement, quand vous êtes ensemble, promiscuité aidant, on vit les uns sur les autres, y'a bien des moments où l'on a besoin d'un petit peu d'indépendance, d'aller faire un petit tour seul. La solitude, c'est dans les chambres, je présume, ce genre de choses. Mais est-ce qu'il y a des manies ou des tics de chacun ? Jean-Jacques, à ton avis, quel est le tic et la manie de Carole et Michael ?

Jean-Jacques Goldman : Je pense que Carole, c'est la plus rituelle, c'est-à-dire elle a tout un processus qui passe de la mise en voix au maquillage, le fait de se coiffer, de se préparer, tout ça qui est absolument rituel. Et dès qu'on bouscule un peu parce qu'il y a une interview, tout ça, on sent que c'est un peu des interférences dans...

Laurent Boyer : ... dans le processus.

Jean-Jacques Goldman : ... Oui, qui procède probablement en même temps de sa forme de concentration.

Laurent Boyer : Et pour Michael ?

Jean-Jacques Goldman : Michael, lui c'est... pffff... il est inhumain, lui. C'est un être à part. Lui, il est capable d'aller bouffer un hot-dog dehors, de téléphoner. Après on lui dit : on est sur scène dans deux secondes. Il est okay, raccroche et il est sur scène. C'est effarant.

Laurent Boyer : Carole, est-ce que t'as remarqué des manies chez Jean-Jacques et chez Michaël ?

Carole Fredericks : Je sais pas, moi, parce que j'ai tellement le trac ! Mais Michaël, c'est vrai, il est pas humain. Lui, pfff.

Laurent Boyer : Les doigts dans le nez, c'est un peu ça... Michael, est-ce que t'as remarqué des petits trucs sur Jean-Jacques et Carole ?

Michael Jones : Y'a le rituel du maquillage, sauf que très souvent, elle a ses copines qui viennent et on entend rire de l'autre côté de la salle. Jean-Jacques, il mange. Il arrive, le potage. Bon, tous les deux, on adore ça. Et...

Jean-Jacques Goldman : C'est mythique ce qu'on est en train de dire. Les gens, ils sont là. Ils nous attendent. Ils se sont dit, on va rêver, tout ça. Qu'est-ce qu'ils font ? Ils bouffent. Ils se maquillent...

Michael Jones : ... Non, mais il a besoin d'un petit moment de silence. Il lit les journaux, les trucs comme ça. Et il y a un moment où on lui fout la paix. Je crois que c'est plus un moment de décontraction plus qu'autre chose.

(Extrait enregistrement "Rouge").

Laurent Boyer : Cet album s'appelle "Rouge". Bon, c'est plus trop d'actualité, rouge, depuis 89. Le premier effet qu'on a, c'est de se demander : tiens, pourquoi il a appelé son disque "Rouge" ? Une fois de plus un constat. Un constat d'époque, un constat d'échec. Et où elle est cette lumière que t'attends ? C'est ce qu'on sent dans ce disque. Reprenons la marche, allons de l'avant dans les textes, il faut qu'on retrouve le chemin, quoi... Il faut qu'on trouve quelque chose ? Mais quoi, des idéaux collectifs de masse, un messie ? Où ? Et la question est posée là aussi : où ?

Jean-Jacques Goldman : Non, ça va pas si loin que ça. Non, l'album s'appelle "Rouge", parce que c'est la couleur de l'album comme... Une fois de plus, on donne le titre à la fin. Une fois qu'on a écrit toutes les chansons qui sont une fois de plus la photographie des trois dernières années, de tout ce qui a pu nous toucher, nous intéresser. Y'en a un qui s'appelait "Entre gris clair et gris foncé", celui-là s'appelle "Rouge" parce que les thèmes traités sont un peu plus violents, un peu plus douloureux, espérant même, un peu moins désabusés que les thèmes d''avant. A mon avis, faut pas mélanger, les hommes, la politique, les compromissions avec les idées qui restent belles et avec les gens qui restent beaux.

Laurent Boyer : Les idées belles, elles sont où ?

Jean-Jacques Goldman : Les idées belles, c'est des idées d'altruisme, c'est la certitude que contrairement à ce que dit Nike sur ses publicités, les solutions ne sont pas individuelles, mais elles sont absolument collectives qu'on le veuille ou non. Même s'il faut tirer des leçons de tout ce qui s'est passé. On peut tomber sur des gens qui ne soient pas forcément corrompus, malins et médiatiques. On en rencontre tout le temps, à chaque coin de rue, des gens biens. Voilà.

Laurent Boyer : Et mettre le point sur les gens biens et se dire que ceux-là sont là et que tout peut aller bien aussi.

Jean-Jacques Goldman : Et comme dans les westerns, les bons gagneront à la fin.

Laurent Boyer : Qu'est-ce qui serait capable de te faire arrêter ce métier ?

Jean-Jacques Goldman : La fin de l'envie, la fin du plaisir.

Laurent Boyer : Mais du plaisir t'en as toujours ?

Jean-Jacques Goldman : Oui, la seule chose qui m'angoisserait, c'est de le perdre. Parce que je sais pas par quoi je remplacerais quelque chose qui prend autant de place dans ma vie.

(Jean-Jacques Goldman chante dans l'émission "L'envie" avec une voix un peu éraillée).

Laurent Boyer : Fréquenstar Fredericks-Goldman-Jones... Voilà, c'est terminé. Fallait bien que ça s'arrête un jour hélas, ici au Maroc, dans le désert, avec Carole et Michael et puis aussi avec des petits camarades qu'on ne connait pas et qu'on a vu sur l'image et on sait pas qui c'est. Tu nous les présentes ?

Jean-Jacques Goldman : Avec plaisir... Xavier que je connais depuis une petite dizaine d'année, que j'ai rencontré dans la jungle amazonienne, près de Cayenne, routard professionnel... Avec Madame qui est là, Marie-Hélène, la motarde la plus rapide de l'ouest, parfois sur les fesses aussi... Ensuite Philippe, lui je le connais depuis une vingtaine d'années, on fait de la plongée, du tennis, du ski, un peu de tout et on se marre pas mal... Robert qui s'occupe des tournées, de l'organisation, que je connais depuis 41 ans puisque c'est mon frère... Enfin, Erik Benzi, clavier, arrangeur, funambule, cartomancienne, sauteur à l'élastique, motard et cinglé professionnel...

Laurent Boyer : Et puis Mademoiselle Carole évidemment qui est avec nous aussi et Monsieur Michael, parce que ça c'est l'équipe aussi.

Michael Jones aux autres : Allez... on se casse...!

Jean-Jacques Goldman à Laurent Boyer : On se casse ?

Laurent Boyer : Ben euh... J'ai plus qu'à... Euh... En fait je me casserais bien avec vous... Allez ! à la semaine prochaine, ça vous apprendra ! C'est trop bien... !

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