TELERAMA n° 2003
(1er juin 1988)

"Je suis le contraire d'un homme de scène"


(retranscription :
Karen Tiphagne)

 


Tout d’abord, on a cru qu’il refusait de nous donner une interview. Puis, la réponse est arrivée : d’accord, mais par courrier. Ci-dessous, les résultats de l’interrogation écrite.

- Quelle a été la première musique de votre vie ?

"Probablement des chansons révolutionnaires russes pour mon père et des chants scouts pour ma mère ! Mais la musique était peu présente chez nous."

- Le premier livre ?

"Qu’elle était verte ma vallée", de Richard Llelewin. Ou "La Cicatrice", de je ne sais plus qui…"

- Le premier poème ?

"Le premier seriné à l’école : j’ai oublié…Le premier apprécié : Aragon par Ferrat ("un jour pourtant, un jour viendra, couleur d’orange, un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront…")"

- Vous rappelez-vous la première fois où vous avez écrit un texte ?

"Probablement des poèmes dans mon journal intime, de 13 à 18 ans. Quatre volumes brûlés le jour de mes 18 ans…"

- Et la première musique ?

"Un petit air doux à la guitare pour séduire les filles sur les plages…"

- Quels sont aujourd’hui les textes, les musiques, les interprètes que vous préférez et pourquoi ?

"Dans une chanson, c’est la musique qui me touche d’abord. Souvent, la compréhension du texte altère l’éventuelle bonne impression. C’est pourquoi ce sont souvent des trucs anglais que je ne comprends pas. Brian Adams, Dire Straits, Mister Mister, Hooters, etc…"


- "Je fais de la musique utilitaire sur laquelle on peut danser ", avez-vous dit. "Swinguer les mots, ne surtout pas toujours réfléchir", dit votre chanson "A quoi je sers". Votre musique danse, mais vos mots donnent l’impression que vous y avez beaucoup réfléchi. Et ils sont matière à réflexion pour votre public, de son propre aveu. Quel rapport établissez-vous entre la fréquente gravité de vos textes et la légèreté de vos musiques ?

"Je crois que la première approche d’une chanson est purement sensuelle, ce n’est qu’après qu’on l’écoute vraiment. Je crois que ce sont la musique, les arrangements, la voix qui font le succès d’une chanson. Le texte, lui, assure la fidélité au chanteur : un peu la sensation de ne pas avoir été trahi, d’avoir éprouvé un plaisir "dignement". Je ne crois pas qu’une chanson à texte soit forcément chiante, ni qu’un tube soit forcément niais. Il existe des tubes à texte et des niaiseries chiantes !"

- Tous les soirs, vous faites salle comble. Comment ressentez-vous l’énergie que dégagent les spectateurs ? Qu’est-ce, pour vous, chanter sur scène ?

"Ce sont les spectateurs qui m’ont appris la scène, qui me l’ont fait aimer. A priori, je suis le contraire d’un homme de scène. Gauche, lent à la répartie, introverti. Mon énergie, c’est celle qu’ils me communiquent. Mon plaisir, c’est le nôtre, celui de passer une soirée ensemble autour de choses qui nous ont touchées. C’est pourquoi je ne cherche pas à jouer devant des "curieux" (festivals, etc…). La "promotion", pour moi, consiste à faire savoir, pour ceux qui sont vraiment concernés, que des concerts ont lieu, point. Pas à raccoler le plus de monde possible. Voilà pourquoi je m‘adapte à la demande (on vient d’ouvrir une semaine supplémentaire au Zénith, du 14 au 18 juin pour ceux qui veulent)."

- Comment écrivez-vous ? Quels sont vos sources d’inspiration, vos instruments de travail ?

"Je prends des notes, je vis, je regarde, je suis acteur et voyeur…Le moment venu, la chanson est mûre. Il faut bosser, mettre en forme toutes ces notes sur le même thème, les adapter à la musique. La musique, elle, vient comme ça, en passant devant le piano à trois heures du matin. On s’assied par désœuvrement, et elle est là, ou bien elle se cache. Il faut y passer du temps, l’apprivoiser."

- Dans votre métier, en studio, en préparation, à quoi êtes-vous le plus sensible ?

"A la conception, bien sûr, à la naissance. Et puis au studio, quand on a en face de soi, sur une bande, ce qu’on avait à l’intérieur."

- Vous n’aimez pas la presse (qui, généralement, vous le rend bien…). Pourquoi ?

"J’ai toujours beaucoup collaboré avec la presse "musicale" et toujours admis qu’on ne m’aime pas ou qu’on m’ignore. J’aimerais qu’on parle de ce que je fais, pas de ce que je suis. Et sans excès ridicules, ni mensonges. Dans l’état de la presse actuelle, ce sont des souhaits démesurés…"

- Etes-vous votre chanteur préféré ?

"Non !! J’aime les voix rauques (Chris Réa, Rod Stewart, Lou Gramm de Foreigners…)."

- Quelle est votre plus grande ambition ?

"Vivre plusieurs vies en même temps. En louper le moins possible."

- Votre vœu le plus cher ?

"Désirer encore, ne pas devenir blasé."

- Votre meilleur souvenir ?

"Demain sûrement !"

- Votre rêve secret ?

"Secret, mais beau comme un rêve…"

Propos recueillis par Anne-Marie Paquotte


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