STAR MUSIC - déc. 90
(sortie album FGJ)

(retranscription : Jean-Marc Kotarski)

 


- A la surprise générale, le 6ème album studio de Jean-Jacques Goldman est celui d'un trio. Pourquoi ?

"Pour plusieurs raisons : d'abord j'avais pris beaucoup de plaisir sur scène à mélanger ma voix à celle de Carole et de Michaël. J'aime ce coté chœurs et chanter ensemble. Et puis ça m'a donné une nouvelle motivation. J'en suis à  mon 6ème album et j'ai donc enregistré plus de 60 chansons... Il arrive un moment où tu as l'impression de te répéter, de t'autoplagier."

- J-J Goldman, le chanteur des années 80 était-il en rupture de stock, en panne d'essence créatrice ?

"C'est sûr que chaque chanteur a des thèmes qui lui tiennent à cœur et il y revient souvent. On a tous des tics de langages, des stéréotypes, des suites d'accords. D'écrire et de composer cet album pour 3 personnes, j'ai trouvé ça intéressant, en tout cas motivant."

- C'est deux autres voix t'ont été finalement pénétrables ?

"C'est un album où il y a beaucoup de changement de tonalité et ces figures
imposées te forcent à aller dans d'autres directions."

- Anti-conceptuel, cet album rassemble toutes les influences goldmaniennes possibles.


"Sur le plan des influences, ça n'est pas très nouveau. C'est le blues, la musique américaine, même si, sur l'un des titres "A nos actes manqués", il y a une incursion dans la musique antillaise. Ca, c'est la résultante de la tournée, de ses passages aux caraïbes et dans les îles."

- Au niveau des thèmes abordés, fais-tu avancer le schmilblick de ta pensée ?

"Il est toujours difficile d'analyser ses propres textes. S'il y a un point commun entre ceux-là, ce sont les préoccupations qui me tiennent à cœur pour le moment et ces préoccupations changent et évoluent ne serait-ce qu'avec l'âge."

- Le succès te dérange à ce point pour que tu aies autant envie de remettre à chaque fois, ta personnalité publique sur le grill !

"Non ça n'est pas de l'agressivité, mais ça correspond à une démarche artistique qui me parait cohérente. Ca participe à chaque fois d'un vrai désir."

- "Frédéricks-Goldman-Jones", est-ce un album de la sérénité ?

"C'est l'album qui me correspond en 90, tout comme "Entre gris clair et gris
foncé" s'en référait à 87 et comme le prochain s'identifiera à 93, probablement."


- Marié, 3 gosses, à la tête d'un empire state Bulding d'estime et de succès... Qu'est-ce qui te fait envie aujourd'hui ?

"J'adore faire ça et ce de façon très scolaire. Pendant un an, j'ai vécu avec des horaires, je me forçais sans me forcer, car j'en avais très envie. Et puis le fait d'avoir pris des engagements vis-à-vis de Michaël et de Carole m'obligeait à ne pas les décevoir, et ça renforçait ma motivation."


- Comment a réagi ta maison de disques par rapport à cet album à trois voix ? La démarche n'est pas des plus commerciales, n'est-ce pas ?


"Je l'ai beaucoup habituée à cela... La première fois que je leur ai dit "Je vais faire un duo avec un dénommé Michaël Jones pour "Je te donne", moi je chante en français, lui en anglais. Ils ont trouvé ça bizarre. Quand j'ai trouvé une jeune fille dans le métro, j'ai dit, je vais faire un duo avec elle. Ils ont trouvé ça bizarre. Lorsque j'ai dit l'album précédent sera un album double et se sera des chaises sur la pochette et il n'y aura pas mon visage. Ils ont trouvé ça très bizarre. En définitive, je ne leur impose rien, on en discute et comme ce sont des   interlocuteurs plutôt intelligents, ils arrivent à comprendre mes choix."

- Attendu au tournant de la décennie, toi, l'ex-idole des jeunes, est poussé par d'autres vers la sortie. Ca file des coups de canif au coin des yeux, n'est-ce pas ?

"Je pensais déjà que l'album précédent concernerait beaucoup moins les gens
de cet âge là. J'imaginais qu'ils assureraient ce virage et puis ce qui s'est
produit m'a étonné.

Il ne s'agit pas d'une probabilité mais d'une certitude, à un moment tu perds forcément le contact avec ce public là. Pourtant, il n'y a rien de plus beau, de plus intéressent que l'amour que peuvent te porter des gens de 15 ans, parce que cet amour est à la fois pur, violent, sincère et très spontané. Avoir connu ça, c'est... Ceux qui ne l'ont pas connu, le regretteront toujours parce que c'est vraiment bien. D'un autre côté, ça va pendant un temps parce que c'est lié à des excès qui finissent par fatiguer un peu."

- Sex-symbol d'une génération, crois-tu que le succès comme l'affirme George Michaël, c'est 90 % de la séduction ?

"Je l'ai dit avant lui ! A 50 000 albums t'as de beaux yeux, à 100 000, t'es pas mal, à 500 000 on te trouve irrésistible. Si par rapport à ça, ça se tassait un peu, le succès risque d'être demain plus facile à vivre."

- Penses-tu que les lycéens qui défilaient dans les rues avaient tes chansons sur les lèvres ?

"C'est ma fille de 15 ans qui défilait dans les rues pas moi. Je ne suis plus du tout le chanteur de cette génération. Le rapport que j'ai avec les gens de 15 ans va devenir un rapport exclusivement musical. Pour le reste, l'identification, il y en a d'autres qui arrivent..."

- Toi, tu casses sans cesse ton image, preuve en est cet album à trois. Tandis que certains se cassent la voix !

"Je n'ai jamais eu la chance d'avoir la voix cassée. Moi qui aurais tant aimé chanter comme Rod Stewart ou Chris Réa (rires)."

- Il y en a qui te poussent ?

"Sur ce plan là, indiscutablement."

- Papy Goldman ne va pas faire de la résistance...

"D'abord je n'ai pas le choix. On ne m'a pas demandé mon avis... Les images
finissent toujours par vieillir, il reste alors toujours la musique pour essayer de toucher et d'émouvoir."

- Décrié par la critique, plébiscité par le public. Vas-tu enfin réconcilier ces deux parties ?

"Il n'y a aucune raison pour que cet album soit mieux ressenti par la critique. Je ne vois pas comment pourraient l'aimer ceux qui ont détester "Il suffira d'un signe" et toutes les chansons de mon premier album.

Si changement de leur avis il y avait, ça viendrait d'eux, parce que mes chansons ne sont ni plus, ni moins fréquentables que celles d'avant."


- "Jean-Jacques Goldman est vraiment nul", c'est oublié ?

"Ca n'est pas oublié, mais c'était rien, c'est toujours comme ça pour tout le monde."

- Es-tu fier de l'œuvre 90 accomplie ?

"Je suis content de cet album."

- "Atmosphère, atmosphère", les années 90 ont vraiment une gueule d'atmosphère et d'avant guerre !

"A mon avis, on est d'avantage en période de paix qu'en période de guerre. C'est quand même aussi et surtout la réconciliation Est-Ouest."

- Le mur de Berlin est tombé, n'est-ce pas aussi une certaine forme de paix qui est aussi tombée ce jour là ?

"Je l'ai ressenti avant tout comme la fin du grand risque de guerre. L'Est, l'Ouest, une unité se fait mais à mon avis dans le bon sens."

- Les chanteurs, est-ce seulement pour joindre le "futile à l'agréable" ?

"Le but de la chanson est d'émouvoir et de faire danser. Chevalier chantait entre 39 et 45... Alors qu'il se passait des choses plutôt graves dans le monde."

- La chanson, c'est donc superficiel ?

"Elle l'est, si on considère que dans la vie, seul le fait de boire, de manger et de dormir sont importants, la vie a quand même une autre dimension."

- Tu ne rentres pas non plus dans l'uniforme d'un maître à penser ?

"Les gens achètent les chansons d'untel ou untel parce qu'elles les touchent, point. Je ne pense pas être utile sur le plan des idées ou de la réflexion. C'est comme quelqu'un qui fait le catalogue des 3 suisses ou encore celui
qui met en scène la énième version du misanthrope, il ne va pas se dire "Je
vais faire avancer le monde à travers ça".


- Pourtant les gens t'écrivent, te sollicite de ta haute bienveillance publique ?

"Ils ne s'adressent pas à moi mais bel et bien à l'image qu'ils ont de moi. Et   puis c'est clair, on frappe plutôt moins à ma porte qu'à celle des autres."

- Jean-Jacques Goldman est un chic type ?

"Je ne sais pas."

- Le succès à l'instar de la télé rend fou, parano, mégalo ?

"Ca n'est pas anodin de monter sur scène..."

- Ca peut faire sauter les plombs et casser la voix.

"Il s'agit de savoir l'expliquer le succès, le relativiser surtout... Le jour où je ne suis plus dans l'actualité. C'est mathématique, je reçois deux fois moins de lettres, faut savoir dissocier qui on est de ce qu'on représente. On peut être chanteur à succès sans être complètement stupide, on ne peut décemment pas croire que si 430 filles hurlent et te désirent quand tu sors de scène c'est simplement parce que tu es très très séduisant. Le mec qui croit ça est fou."


- Anti-star par excellence et citoyen conforme au moule de la normalité.


"J'ai conscience d'être un privilégié et je n'ai pas une vie de citoyen normal. Je sais comment vivent les citoyens normaux et ils vivent beaucoup plus difficilement que moi. Je ne mène pas non plus la vie d'un travailleur ordinaire."

- Aurais-tu été malheureux de ne pas croiser le regard du succès ?

"Je n'aurai pas été malheureux ! Jusqu'à l'âge de 31 ans, je ne l'ai jamais vécu dans l'attente du succès, à la manière du dernier prix Goncourt par exemple.  C'est juste un truc en plus qui est venu se greffer mais qui n'est pas fondamental."

- Dès avril prochain, tu réattaques une tournée. Tu as envie d'avoir envie. Où te produiras-tu à Paris ?

"J'en ai très envie bien sûr. On essaie de trouver un endroit en plein air, un peu comme à Fréjus ou Nîmes. Il n'en existe pas, ou sinon il faudrait le construire. Si ça ne se fait pas, je referais probablement le Zénith... Bercy c'est définitivement trop grand pour le type de concert que j'ai envie de faire."

- Goldman ne passe pas les frontières, est-ce ça qui te donne le blues ?

"Si j'étais persuadé que j'étais beaucoup plus mauvais que Dessilles, que FR
David ou que Samantha Fox, je serai amer ! A ce que je sache, Brassens,
Jonasz, Souchon, eux non plus ne s'exportent pas. Le fait de vendre des disques à l'étranger dépasse le cadre de la musique... J'avoue que de plaire à des anglais ou des allemands n'est pas quelque chose en soi qui me fascine. De plaire à des français en chantant en français c'est largement satisfaisant. Je n'échangerais pas ma place à des gens pour qui ça marche à l'étranger et non en France.
"

- La chanson en 90 se porte t-elle bien ?

"Il me semble ! Il y a des gens comme Philippe Lafontaine, la voix de Maurane, Gildas Arzel (l'ex-chanteur du groupe Canada). Il y a plein de bonnes choses."

- Jean-Jacques Goldman, l'homme pudique va t-il être recommandé par l'office cathodique du style "préparez vos mouchoirs et vos albums photos" ?

"On ne dirait pas des femmes qu'elles sont des femmes publiques. Donc moi je
ne suis pas un homme public. Depuis 81, j'ai toujours été prêt à mettre l'insuccès en balance pour ne pas avoir à faire ces choses là. Le succès, oui, mais pas à n'importe quel prix ! En tant que téléspectateur, je regarde ces émissions avec beaucoup de plaisirs. Quand je vois Michèle Barzac retrouver celui qui l'a élevée en Algérie, je trouve ce moment émouvant. J'apprécie beaucoup l'émission "Mon zénith à moi". Je ne suis pas contre, pour les autres. Moi je me sentirais très mal à l'aise."

- As-tu profité de ces quelques mois sabbatiques pour peaufiner ta vie d'homme ?

"Je ne me suis pas tellement reposé. Entre la tournée et l'enregistrement de
l'album, il ne s'est guère écoulé que quelques mois... J'ai un peu voyagé, je suis allé aux Etats Unis voir des amis. Mais je ne suis pas un grand voyageur."


- Alors heureux !

"Comme tout le monde ? Parfois."


* * * * * * * * * *

C'EST PAS D'L'AMOUR

"C'est une ballade "west coast" avec des guitares acoustiques. Ca parle de ces couples dont les relations s'apparentent à de la camaraderie, de la tendresse, de la complicité, de l'harmonie, tout mais pas de l'amour... Peut être qu'on peut vivre sans cela ? Le constat est clair. La majorité des couples se séparent. La notion du couple va sûrement se redéfinir."

NE EN 17 A LEIDENSTADT

"C'est sur le poids de la pression sociale, sur les choix de nos consciences, sans doute est-ce plus facile d'être anti-raciste en France aujourd'hui qu'il n'était aisé de l'être en 33 en Allemagne. A cette époque 90 % des gens ont voté pour Hitler. Alors est-ce que ça veut dire que 90 % des allemands étaient des salauds ? Nous sommes tous manipulés par le contexte social du pays dans lequel on vit. Si j'avais dû faire la guerre en Algérie, peut être que j'aurais été un tortionnaire. Si j'étais blanc en Afrique du Sud, peut être encore, que je ne défendrais pas la cause des noirs... C'est ce que l'on appelle les conditions objectives. "Et qu'on nous épargne à toi et moi si possible très longtemps... d'avoir à choisir un camp". C'est un privilège de vivre ici et maintenant... L'influence musicale c'est en référence à Bruce Hornsby, un de mes chanteurs préférés qui a déjà sorti trois albums magnifiques."

VIVRE CENT VIES

"Musicalement, c'est de la guitare très saturée. Texte : chaque choix est un renoncement. J'aimerais tant être au pluriel quand mon singulier me rogne les ailes. Etre une star en restant anonyme."

UN, DEUX, TROIS

"C'est une réflexion commune à nous trois. Carole vient du Massachusetts, Michael du Pays de Galles, moi de France, et tous les trois, on a aimé la même musique. On est frères de ça, on est tous les trois issus de cette culture et sans même comprendre certains mots, ces derniers nous renvoyaient une vraie émotion qui dépassait la raison. "Nous allions tous même direction, nulle part oui mais ensemble". Lavilliers a écrit une belle chanson sur cette époque 'On the road again'."

CHANSON D'AMOUR

"Il y a un grand décalage entre les photos du bonheur qu'on exhibe à la une des journaux et la réalité. Ca s'apparente à de l'abus de confiance. Cette chanson tente de démasquer tous les faux amours. "Amour vautour ou amour victime, j'en ai vu, mais des amours tout court ça court pas les rues". "Trêve de discours, y a rien de pire que l'amour sauf de ne pas aimer. Autant le faire c'est clair et puis se taire". Musicalement, cette chanson contrairement à ce qui arrive d'habitude a beaucoup gagné lors de l'enregistrement."

PEURS

"C'est sur la rumeur et le prix qu'il faut payer au nom du justement non-anonymat dans les cités dites plus humaines. Musicalement c'est un peu "Dance".

TU MANQUES

"C'est la seule chanson que j'interprète seul. Elle dure 10 minutes. On l'a enregistrée live. En ce qui concerne le texte, le "manque de l'autre" : la chose la plus partagée au monde."


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