En quinze minutes imposées, Jean-Jacques Goldman répond à des questions de circonstance
ou plus imprévues. - C'est un sujet des
temps qui courent : Mai 68. Qu'en gardez-vous comme souvenir ?
"J'avais 17 ans, j'étais en première. Il n'y avait pas de cours.
Je faisais de la musique. J'étais, je crois, délégué de ma classe, je suis allé à
une réunion du CAL (comité d'action lycéen) de Malakof qui était déjà noyauté par
le parti communiste et je suis parti au bout d'un quart d'heure. J'avais compris."
- Mai 68 s'arrête là ?
"Pour moi, oui."
- Pour la musique, Mai 68 a-t-il changé quelque
chose ?
"Je ne crois pas. Ce qui a vraiment changé à notre époque est le
mouvement hippie sur la façon d'être et la musique rock de cette époque-là. C'était
déjà parti des Etats-Unis. Le mouvement était plutôt initié par les mouvements réels
de la jeunesse américaine contre la guerre au Vietnam."
- N'y a-t-il pas eu depuis une globalisation de la
musique à l'image de Coca-Cola ou de Microsoft ?
"On ne peut pas parler d'uniformisation à ce point-là. Il y a
énormément de musiques différentes qui circulent. Coca-Cola est une boisson
planétaire. Moi, j'ai l'impression d'être un professionnel, un artisan, à qui on fait
appel. Comme on fait appel à certains musiciens ou certains preneurs de son qui sont
demandés, parce qu'ils sont à la mode."
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"MAI 68 A CLOISONNÉ"
- Pourtant en 68, il y avait des classifications
strictes entre musiques. Européenne et américaine, noire ou blanche. Des hit-parades
différents existaient.
"Je pense que 68 a augmenté cette classification. Pour nous à
cette époque, il y avait d'un côté Bob Dylan et de l'autre Gilbert Becaud ou Claude
François. Je n'écoutais pas du tout de variétés françaises jusqu'aux années 80. Pour
moi, 68 a encore plus cloisonné. Le métissage, les mélanges se font depuis les années
80."
- Mai 68 n'a rien apporté ?
"Globalement, rien. N'importe comment, Mai 68, sur tous les plans,
a été simplement le remplacement d'un politiquement correct par un autre politiquement
correct et on en sort maintenant à peine. Je ne pense pas que cela a été une avancée.
Sur le plan politique, la faillite reconnue, en particulier par les nouveaux philosophes
avec la barbarie à visage humain, a mis fin au western avec les gentils d'un côté et
les méchants de l'autre. Quand nous nous sommes rendus compte que Fidel Castro n'était
peut-être pas le Bon Dieu, que Margaret Thatcher n'était peut-être pas le diable, que
Che Guevara n'était peut-être pas un Saint, que Mao Tse-Toung n'était définitivement
pas fréquentable, alors on a pu globalement se poser les notions du bien et du mal."
- C'est un retour de la morale sur le politique ?
"C'est d'abord un retour de l'intelligence et du
discernement."
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"UN STYLE INSTITUTIONNEL"
- Pour revenir à la musique, comment expliquez-vous
le succès du rap, alors que d'autres formes de rock, le hard rock, n'ont jamais pu percer
sur les ondes ?
"C'est vrai. Je ne me suis jamais posé cette question. Je vais
vous répondre probablement en changeant ma réponse d'ici une heure, parce que je n'y ai
pas réfléchi. Le rap arrive comme un style institutionnel, mais il est vrai que je n'ai
jamais réfléchi à la comparaison avec l'échec du hard rock. Le rap est un mouvement
significatif aux Etats Unis et en France. Il n'existe pas en Angleterre, sauf de façon
anecdotique, ni dans les autres pays d'Europe. La spécificité est le rapport au texte.
La différence entre le hard rock et le rap est peut-être là."
- Vous en écoutez ?
"Parce que j'écoute la radio et parce que mes enfants en
écoutent. Mais je n'achète pas de disque de rap."
- Le rap est-il la première musique qui a fait
vieillir le rock ?
"Je l'ai déja dit. Le rap et la musique techno sont les premières
musiques qui nous font vieillir, parce qu'elles n'ont pas de référence au rock. Comme
nous n'avions aucune référence au jazz."
- Cela veut-il dire que le rock est mortel pour la
première fois ?
"Pas plus que le jazz. Il faut s'attendre à écouter un jour
"Back in the USSR" ou "Street fighting man" dans un ascenseur.
Changement d'attitude."
- Dernière question : vos chansons font souvent
appel à une femme forte en apparence, mais fragile en réalité.
V"ous parlez de la force de mes chansons ou des femmes de mes
chansons ?"
- De vos chansons.
"Il y a deux réponses. Est-il intéressant de faire une chanson
sur une femme qui n'a pas de fragilité ? La seconde est : va-t-elle me séduire ? Je
crois qu'il est plus intéressant d'écrire sur une femme qui a des failles et qui va me
séduire."
Propos recueillis par Michel Arnould
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