(retranscription de Stephan Czauderna)
SACHE QUE JE - "Il y a des ombres dans "je taime"/Pas que de lamour, pas que ça". Jean-Jacques Goldman Cest la chanson dun chanteur qui ne veut pas chanter "Je taime". Je suis "remarquable" par mon très petit nombre de chansons damour écrites. On ma souvent demandé pourquoi cette phrase-là, "je taime", me gêne. Cest ma réponse. BONNE IDEE - "Des vertiges à prendre, à comprendre et des filles à caresser/Jme suis dit/Bonne idée". JJG Il faut prendre le texte au pied de la lettre. Les spaghettis, les mots de Frédéric Dard, Johnny Winter, le public, tout ça me fait penser qu'être né est une bonne idée. Le rugby aussi parce que cest un sport où chacun a sa place. Il ny a pas, comme au foot, de possibilité dexploit. Les gros travaillent pour les petits et vice versa. Une entente parfaite entre eux est absolument nécessaire pour que léquipe marche. Cest beaucoup plus quun sport dans ce sens-là. Mais jai oublié aussi beaucoup de choses, comme le café du matin ou la douche après le sport. TOUT ETAIT DIT - "On ne ment quavec des mots (...) mieux vaut de beaucoup se fier aux apparences/aux codes des corps". JJG Bien sûr que je suis quelquun qui observe beaucoup, mais le thème de la chanson est ailleurs. A mon avis, il faut se fier aux apparences. Contrairement à ce que prétend ladage jai constaté avec le temps que, finalement, les apparences sont assez peu trompeuses. |
JJG A linstant du bonheur je ne pense pas forcement au moment où il cessera, mais je pense ensuite, quand il sest enfuit. Jai un peu de recul et je me rends compte quil y a plusieurs problèmes : le problème de lamour, le problème de la fuite de lamour mais également de laprès-amour. Quelle relation instaurer avec quelquun quon a touché à qui on a fait lamour ? Est-ce que "après" cest rien ? Comment ce serait possible ça ? Est-ce comme un ami ? Tout le monde sest posé ce genre de questions. LE COUREUR - "On ma mis un numéro sur le dos/Y avait des gens qui criaient, des drapeaux /On courait toujours en rond des clous aux deux pieds pour écorcher la terre/Je la caressais naguère". JJG A la télévision je vois le sourire de Gebre Selassié victorieux. On le montre aussi, quinze jours auparavant, dans son village en Ethiopie où il ny a peut-être pas lélectricité partout, peut-être pas le téléphone. Il sest mis a courir parce quil fallait faire 20 km pour aller à lécole. Et tout à coup, il est devant des millions de téléspectateurs, des caméras ultramodernes, des gars avec les micros. Cette opposition entre sa culture et ce milieu complètement différent tellement artificiel me choque, me surprend, me frappe. Je me dis quil pense peut-être à un ami qui na jamais pris lavion, qui garde des chèvres, lessentiel de son monde mais je ne prends pas du tout parti. Je me dis quil a eu de la chance. Quand il revient, il a un téléphone portable, un pantalon que les gens nont jamais vu. Il ne fait plus partie de son village mais, dun autre côté il a vécu des choses que les gens de son village ne vivront jamais. JUSTE QUELQUES HOMMES - "Où plus rien ne frissonne/Plus rien ni personne/Juste quelques hommes". JJG Cest une chanson sur le fait que les hommes peuvent être excessifs dans le bien comme dans le mal. Des hommes vont là où on ne peut pas aller. Certains passent leur vie - la référence cest mère Teresa à aider, à essuyer des malades. Le courage physique ne me paraît pas si extraordinaire. Un gars qui monte à huit mille mètres en quatre jours cest très bien, cest beaucoup pour lui mais ça na rien à voir avec les médecins qui vont chez les lépreux. Il en faut, mais moi je nirais pas. NOS MAINS - "Sur une arme les doigts noués/Pour agresser, serrer les poings/Mais nos paumes sont pour aimer". JJG Mais un jour si tu nas rien à foutre, si a la télé le feuilleton ne te plaît pas, regarde tes mains. Sur le dessus, tout est dur. La peau est tannée. Tu as des ongles durs qui peuvent griffer, des articulations pour faire des poings, pour frapper. Si tu retournes ta main, Iintérieur est extrêmement doux, il y a les lignes de la vie, presque des confidences, des choses intimes. Et après, tu te rends compte que quelquun qui se présente paume tendue ou poing fermé, ça tait une énorme différence. Cest une image jolie pour une chanson mais ça ne veut pas dire plus que cela. Je nai pas besoin de toucher pour croire. Par contre, je préfère un geste à une parole. On a appris à se méfier des paroles. |
JJG Cest une référence, venue naturellement, aux origines slaves de mon père. Cette musique qui peut être tzigane est comme le blues de lEst. Quil soit tzigane ou russe, ce blues a des sanglots dans les violons, dans les accordéons. De la même façon quà lOuest, quelle que soit la forme prise, rhythmnblues, blues rural, électrique, des années soixante ou septante, il y a toujours le même ton blues. MURAILLES - "Et javals fait des merveilles en bâtissant notre amour/En gardant ton sommeil en montant des murs autour/Mais quand on aime on a tort on est stupide on est sourd". JJG Cest le son du clavecin ou début qui la fait ressembler un peu à "La vie par procuration" mais sur le plan musical je ne pense pas quil y ait une grosse analogie (Il fredonne). Oui, tu as raison. Il y a un rapport, il ny a pas que le clavecin. Ce doit être la "touche Goldman". (Sourire). Ce serait de lautoflagellation si je ne reconnaissais pas que jai un style, une façon décrire, darranger. Je ne ferai jamais certaines choses au niveau de lorchestration parce quelles ne me touchent pas. Je ne bute pas contre mes limites parce que je ne compose que dans mon style. Je ne pourrais pas écrire une chanson qui devrait être jouée par un grand orchestre. LEnvie (écrite pour Johnny Hallyday) a été repris par un autre arrangeur et, sur scène, joué avec un philharmonique. Cétait pas mal mais la version originale mallait aussi bien. ON IRA - "On néchappe à rien pas même à ses fuites/Quand on se pose on est mort/Oh jai tant obéi, si peu choisi petite/Et le temps perdu me dévore". JJG Jécris des chansons, jen chante mais jaurais pu rester dans mon magasin de sport et être heureux. Hier, jai déjeuné avec Philippe, un très très bon ami qui a repris le magasin et je trouve quil a une belle vie même sil doit fermer à cause dune grande surface qui sinstalle juste à côté, il va changer de vie mais cest une belle vie qui ne maurait pas fait peur. Pas du tout. Et je naurais pas été différent parce que ces réflexions qui mènent mes chansons ne datent pas daujourdhui. Elles viennent de lhabitude familiale de discuter, de réfléchir et qui se poursuit encore le samedi midi chez ma mère. Ma sur médecin, mon frère, producteur de tournée, ma belle-sur, maintenant nos filles qui sont étudiantes en psycho ou en droit, tous les gens présents discutent, ça na rien à voir avec ce que je fais. Là où je ne suis pas le même, cest par rapport à des expériences que jai pu vivre et qui sont très rares comme le détachement possible à largent, le fait dêtre reconnu partout où je vais, de mêtre présenté devant des milliers de personnes et de savoir communiquer avec elles. Ce sont des expériences que tout le monde ne partage pas. Mais elles me sont arrivées tard. Javais déjà 32 ans, donc je nai pas limpression davoir changé fondamentalement. ON IRA - "On ne changera pas le monde/Mais il nous changera pas". JJG La phrase est piquée, avec son autorisation au Roman Océan dYves Simon. On parle assez peu de mes albums et de ses livres, mais il y a dautres connivences entre nous. On se laisse quand même lire un peu de notre travail au fur et à mesure. Donc, le héros répond à un prof qui se moque de sa dissertation et lui dit dune façon très ironique : "Et alors monsieur, vous pensez changer le monde ?" II répond : "En tout cas, jessaierai quil ne me change pas" et il sort de la classe. Je ne sais pas si cest une phrase si profonde que cela. Elle vaut pour ce type qui se casse et qui pense que seules les routes sont belles. Ce gars-là nest pas forcément moi. Je ne suis pas convaincu quon ne changera pas le monde et je ne suis pas convaincu que le monde ne nous changera pas non plus. Lantidote existe. On nest pas tout seul Il y a une espèce de courant, de professeurs, de gens normaux qui résistent. Les valeurs négatives et individualistes ne sont absolument pas les valeurs du monde. Il y en a plein dautres. EN PASSANT - "Déjà ces discrets manques de courage/Tout ce quon ne sera jamais, déjà". JJG Aller derrière les apparences est une des choses qui mintéressent. Observer, chercher la faille, le détail, est-ce caractéristique de mes chansons. On y trouve quand même pas mal de contre-pieds, comme "Je te donne toutes mes différences" ou "La vie par procuration". Oui, cela revient souvent, en passant, derrière le maquillage. II y a une note manuscrite en fin de livret : "Nous flânons donc, De ces flâneries certains tirent des reportages ou des livres, des films, des chansons (...) dautres flâneurs sy arrêtent en passant". JJG Ce petit mot en conclusion ou en préface, à chaque fois, Atexis, qui travaille avec moi, me dit : "tu ne crois pas quil faudrait faire quelque chose ?" et je my colle. Je trouve que cest bien, comme Ie fait décrire quelque chose sur le billet dentrée des concerts. Cest une attention. Avez-vous le sentiment quil est de votre devoir de faire à chaque fois quelque chose de différent? JJG Je nai aucun devoir. Jean-Luc Cambier |