Photo : Claude Gassian - Réalisation : Hit Diffusion
Première partie :
Récit de Paul Ferrette, bassiste
des Red Mountains Gospellers et des Phalansters
Deuxième partie :
Interview de JJG par Paul Ferrette
(Retranscription : Benoit Dudoret)
PREMIERE PARTIE Cétait en 1967. A Montrouge. Une date et un endroit que nous noublierons jamais. Lorsque, en passant par là, il est entré, nous étions en pleine répétition. Répétition morose, ce jour là nous navions pas la pêche ! Et pourtant Jean-Jacques, lui, trouva cela très intéressant ; il resta un long moment à nous écouter. Le dimanche suivant, même heure, même local paroissial, et leffervescence à lheure de monter et brancher le matos. Et en plus une jubilation nouvelle car Jean Jacques était revenu et avec laccord du curé des lieux, de simple passant il devint organisme de notre Groupe. |
Nous ne doutions pas encore des incidences quaurait cette visite impromptue sur notre avenir. Car cest ce dimanche quinsidieusement commença notre dérive : du religieux au gospel, puis du gospel au blues, et enfin du blues au rock. Le plus étonnant, cest quà cette époque personne autour de nous ne parut sétonner de ce glissement. Pas même curé qui aurait pu freiner notre ardeur peu...orthodoxe à animer des messes où de plus en plus de jeunes du quartier venaient comme à un concert. A bien y réfléchir, je soupçonne ce prêtre davoir eu un goût marqué pour le côté feeling, blues, de cette musique. Et de lapprécier au point despérer quen touchant la carte sensible des jeunes de sa paroisse, elle aurait le pouvoir dexalter leurs aspirations les plus nobles. En tout cas, cest lui que créa la surprise, un dimanche après une messe au bouquet final très électrique, très rock, en venant nous proposer tout de go de nous avancer largent pour faire un disque " si cela vous tente, dit-il ! ". Si cela nous tentait ? Malgré notre stupéfaction, nous avons réussi à linstar dadulte réclamant un délai de réflexion, à nous imposer en apparence de flegme. Le temps de foncer au local, de lautre côté de la rue. Et là une fois la porte refermée, notre joie a explosé dans un délire tant gestuel que verbal, ponctué de rires. Cet épisode fait partie des moments culminants de notre vie dartiste, gravé à tout jamais dans la mémoire et le cur. Peu de temps après nous sommes donc allés enregistrer ce fameux disque vinyle des Red Mountains Gospellers. Jean Jacques y jouait de la guitare acoustique, de lharmonica et de lorgue, tout en participant au chur. La composition du groupe était complète ; un lead vocal et guitare, une guitare daccompagnement 12 cordes, un orgue, un harmonica, un bassiste, un batteur, et trois choristes. Le contrat passé avec notre curé prévoyait lanimation de quelques messes, ici où là pour vendre notre disque - ce disque fabuleux ! - et rembourser la somme empruntée. Cet arrangement nous convenait car il sous entendait que daccord sur le principe, nos parents ne pouvaient ni limiter ni interdire nos répétitions ou nos concerts dans les églises. Nous étions en quelque sorte en contrat avec le Bon Dieu, via notre serviteur direct, notre très cher curé. Ainsi, déglise en église, nous avons porté cette musique qui était la nôtre, vivant à partir de ce fameux vinyle notre première expérience de groupe. Mais toutes les belles histoires ont une fin. Et vint le moment où il fallut se séparer pour que chacun, à sa manière selon sa personnalité et son style, poursuivre son évolution musicale. |
Jean le batteur, Jean-Jacques à la guitare, et moi à la basse, nous avons décidé de monter un groupe plus blues, rock, pop... Avec un gros son, une batterie au tempo en béton, des sons de guitare à la Hendrix ou la Led Zeppelin. Evidemment, il nous manquait un chanteur et un organiste.. Mais fort dune foi consolidée dune messe à lautre, notre optimisme restait inébranlable. A juste titre, puisque ceux ci arrivèrent un Samedi à la répétition, ce moment culte dont dépendait le climat de toute la semaine : en effet, labsence de répétition sapait notre moral, huit jours mous et gris, dans le brouillard, cétait ainsi...déjà, la musique était notre drogue. Les deux nouveaux - Christian, le plus jeune qui se disait chanteur, et son frère Alex, organiste - furent donc conviés à jouer avec nous quelques bons vieux morceaux, des standards et pourquoi pas, une impro sur une grille blues. Bien, très bien ! Nous étions content les uns des autres. Cette excellente impression scella le groupe - Le Phalanstère - désormais au complet pour se préparer au concours du Tremplin du Golf Drouot. Cest au cours de cette période que Jean-Jacques simposa par ses qualités, notamment sa volonté et son sens de lorganisation. A son avis, la voix de Christian, le chanteur, était trop claire. Cela lennuyait. Et nous aussi, car avec sa force de conviction naturelle, il ne tarda pas à nous persuader quil avait raison. Christian entreprit de casser sa voix, par exemple en hurlant le soir dans le métro jusqu'à couvrir le bruit des machines, ou provoquer un enrouement en sexposant aux courants dair. Un professeur laurait sans doute encouragé : " Beaucoup deffort, élève obstiné. Intéressant, à suivre... ". Le résultat fut en effet intéressant et peu à peu la voix de Christian devint plus épaisse, plus éraillée, plus grave. Super ! Cette voix chaude et bluesy, nous laimions tous, et finalement le chanteur aussi. Son sens de lorganisation, Jean Jacques laffirma en nous suggérant de partir tous ensemble pour travailler et monter notre premier répertoire, et être en mesure de proposer des concerts dau moins une heure et demi à deux heures. Coup de chance, les parents du batteur nous prêtèrent leur maison en Normandie le temps des vacances scolaires. Rien ne sopposait plus à notre projet. Je me souviens peu des paysage, et pour cause... A part une promenade, nous avons fait essentiellement de la musique. Nuit et jour. Le matériel occupait le rez-de-chaussée et restait monté en permanence, ce qui nous permettait de démarrer à toute heure. Nous avons énormément travaillé, certes pas sur des devoirs danglais ou dhistoire/géo, comme pouvaient limaginer nos parents, mais ce fut vraiment un travaille acharné. Aucune concession, aucun cadeau. Pour chaque morceau, nous allions au bout de nos exigences. Et tant que quelque chose, ne fut-ce quun détail, nous chagrinait, nous reprenions jusqu'à en être totalement satisfaits. Aboli le rythme du temps. Sans horloge, plus de jour plus de nuit. Uniquement les indispensables moments de repos. Dormir et, sitôt réveillés, engloutir un copieux petit déjeuner et...foncer, encore en pyjama, sur le matériel. Et un, deux, trois...cétait reparti pour des heures. Je me souviens encore de lodeur particulière que dégageaient les amplis restés tellement longtemps sous tension. Quel plaisir de voir notre répertoire senrichir au fil des jours ! Et de nous imaginer jouer des heures daffilée ! Comme les grands. Comme de vrais musiciens. Enchaîner les morceaux, les solos pour tenir la scène et maintenir lambiance : tel était notre cahier des charges, et nous avons réussi à le tenir. Le huitième jour, nous étions prêt pour deux grandes heures de musique. Cela tournait rond, le son était gros, les tempos super. Et la voix du chanteur de plus en plus cassée, de plus en plus chaude. En avant pour les concerts, les M.J.C., les "Boîtes" en province. Et enfin le lieu où nous allions nous frotter aux meilleurs groupes du moment : le Golf Drouot et son Tremplin. Nous nous y sommes inscrits. Nous lavons fait et... nous lavons gagné ! Voilà cétait juste quelques souvenirs, de ces souvenirs qui, dès quils vous reviennent, déclenchent en vous une tempête de bonheur, et que je remuais en attendant Erick Benzi et Jean-Jacques Goldman pour linterview de ce nouvel album "en passant". De 1967 à 1998... Plus de trente ans, déjà ! Paul Ferrette. |
DEUXIEME PARTIESACHE QUE JE
Paul Ferrette : Quand on écoute " Sache que je... " le réflexe nous vient naturellement de terminer la phrase à ta place : Sache que je... taime ! Pas pour toi ? Jean Jacques Goldman : "Je suis sûrement un des chanteurs qui a écrit le moins de chanson damour et jamais le mot "je taime". On ma demandé pourquoi ? Je ne le savais pas. Jen parlais déjà dans un reportage effectué sur la tournée "Rouge" en remarquant que cest une expression où lon ne peut rajouter dadjectif. "Je taime beaucoup" est beaucoup moins fort que "Je taime" tout seul. Finalement tout le thème était là. "Sache que je" veut exprimer des sentiments mais sans cette expression peut être galvaudée. Quand quelquun te dit "je taime" ce nest pas aussi simple. Ce nest pas forcément quil vous aime. Le mot est dangereux. Dautant plus dangereux que ce sentiment est si important." P.F. : En remplaçant "je taime" par "jexiste" " je suis à tes côtés" on exprime autre chose, une autre vérité. Comment réagirais-tu à ce détournement de sens ? J.J.G. : "Il ne me dérange pas du tout, je le trouve même très intéressant. Une fois terminée, la chanson ne mappartient plus. Celui qui lécoute, la joue, la chante, se lapproprie. Beaucoup de mes chansons comme "puisque tu pars" "confidentiel" ont été comprises dans un sens complètement différent. En écrivant mes chansons, je ne me préoccupe pas du tout de ce phénomène. Jessaie dexprimer le mieux possible, ce que je ressens. Je lance des propositions et ceux qui les écoutent en font ce quils veulent. Moi, jai commencé par aimer des chansons anglaises. Je prenais deux mots et je me faisais tout un scénario, qui neuf fois sur dix navait rien à voir avec lhistoire originale ! Mais peu importe : les chansons sont des propositions et chacun y prend ce dont il a envie." P.F. : Et jusquoù peut aller cette dérive ? J.J.G. : "Elle na pas de limite. Ce nest pas grave. Encore une fois, la chanson appartient à celui qui lentend. Moi "Foxy lady" de Jimmy Hendrix, je ne sais pas du tout de quoi elle parle, mais ma version est la bonne puisque cest ma version." Eric Benzi : Javais terminé larrangement, on avait tout "chécké" avec Jean Jacques, et puis je sais pas, une mauvaise manip informatique avec mon assistant, et on a tout effacé, tout perdu !... Il a fallut tout refaire. La première fois que jai travaillé avec lui, cétait pour le premier album "Frédéricks, Goldman, Jones". Il mavait demandé, ainsi quà dautres darranger deux chansons. Mes arrangements lui ont plu car jai apporté quelque chose de nouveau tout en gardant la personnalité de lauteur : cest de cette symbiose que naît le feeling entre un arrangeur et un auteur-compositeur. P.F. : Erick Benzi, la question qui simpose à moi concerne la façon dont a travaillé le tandem Goldman/Benzi pour cet album. E.B. : Comme dhabitude, Jean-Jacques me remet des maquettes et à partir de là, je travaille seul. Il y a déjà beaucoup de chose dessus, lambiance générale notamment. Cest plutôt à un travail de mise en forme que je me livre. Ensuite, nous nous retrouvons. Les yeux fermés il écoute et cest alors que nous travaillons : ici la guitare entre trop tôt ; attention la musique couvre la voix, etc... Ainsi, par touche successive, on ajuste. Mais Jean-Jacques nest pas derrière moi lorsque je travaille. Il me laisse aller au bout de mes idées, quitte à en proposer dautres et à les retirer par la suite. Etant seul jai beaucoup de temps pour travailler, les nappes de synthétiseur enfin tout lhabillage. Jy attache une grande importance. Maintenant je connais bien Jean-Jacques, je sais très rapidement où il veut en venir. Bien sur il est primordial de coller à la mélodie. Sur certaines chansons, je prends parfois le risque de proposer des choses différentes, voire nouvelles. J.J.G. : "Et même si lon écrit pas de chansons damour où lon dit "je taime" peut être que toutes les chansons parlent damour. Forcément." |
BONNE IDEE E.B. : Au départ jai fait un arrangement beaucoup plus orchestré. Cela na pas marché et nous sommes revenus à une dominante de guitare, comme sur la maquette, avec des habillages très légers. Je me suis régalé à faire une rythmique qui tourne, équilibrée, avec, pour la chaleur, la guitare qui guide bien la voix sans la faire trop rigide. Cest la plus gaie de lalbum. P.F. : Cette rythmique guitare est belle mais na pas lair évidente du tout ! E.B. : Cette rythmique a donné du mal à JJ mais on a préféré que ce soit lui qui joue, pour lambiance. Ce nest pas parfait, ce nest pas approximatif non plus, cest lui. Cest juste ce quil faut. Un autre guitariste nous laurait fait trop propre...trop parfaite. La guitare est mixée en mono, ce qui donne ce son très simple, très dépouillé. Comme lorsque lon joue seul chez soi. P.F. : Des arrangements simples..., une voix propre, très intimiste...on est loin de lalbum " rouge " ! E.B. : Oui...cest le retour de JJ en solo. Un album que nous avons réalisé à deux. Très peu dautres musiciens. Peu deffets. Le contraire de "Rouge" où il y avait beaucoup de musiciens, beaucoup deffets et un choeur. On est ici dans quelque chose de plus intimiste. Les traitements de voix ont donc été différents. Ainsi, nous nous avons vécu au studio, enregistrant les voix le matin au réveil, avant le petit déjeuner pour avoir le petit "rugueux" de réveil, avant que la voix ne devienne trop lisse. P.F. : Cette chanson respire une gaieté assez inattendue ? J.J.G. : "Ce thème du "bonheur de vivre", je le porte en moi depuis longtemps. Je le ressens profondément ; les plaisirs simples de la vie me rendent heureux et je crois que cette faculté de se réjouir de tout ne sacquière pas : on lhérite de ses parents à la naissance ou par léducation peut être. Mais elle na rien à voir avec la vie objective, la situation sociale etc. Si lon est né avec le mal de vivre, comme le dit Barbara, il ny a rien à faire contre cet état. Je pense que lon ne peut se raisonner. Si tu "es" malheureux, tu vis vraiment malheureux. Cet état de bonheur est évidemment une grande injustice, comme la beauté, lintelligence dont on hérite, ou pas. Et parfois, ont est amené à le masquer sous peine de paraître presque obscène. Donc, merci dabord à mes parents de mavoir fait !" P.F. : Si je résume : deux types dindividus apparemment semblables mais finalement différents dans leurs réactions face à la vie. J.J.G : "Oui, et face à un malheur, les premiers vont rebondir sur autre chose, et les seconds vont sombrer. Chaque malheur est alors un prétexte pour couler mais le malheur na rien à voir. On na pas à les juger. Tous les actes quotidiens : courir, prendre une douche, faire lamour, faire de la musique par exemple, me font hurler de bonheur. Dautres sen tapent." TOUT ETAIT DIT P.F. : Dans cette chanson très blues, on retrouve ce que tu aimes : la guitare, le vieil orgue Hammond, les choeurs, une certaine ambiance... J.J.G. : "Oui, bien sûr. Au départ, javais mis un saxophone que jai enlevé pour garder le "côté brut" de la chanson, juste avec des voix. Chose "inavouable" : la batterie est programmée ! Bien que ce type de chanson doit être jouée "live", tous les instruments ont joués sur le balancement dune batterie programmée. Par contre ont a gardé la basse jouée. La chanson dit simplement quil faut se fier aux apparences. Quand ont regarde quelquun qui ne se sent pas observé, on apprend sur lui des choses fondamentales. Il se livre plus que sil parlait, ne triche pas. Avec des mots, on peut mentir se composer un personnage." E.B. : Lorsque JJ me la amenée cétait déjà pratiquement une chanson guitare/voix. Le pari consistait à respecter cette ambiance, et à faire évoluer cette chanson sans jamais perdre cette base. Cest un blues du matin. Je me suis amusé à jouer de lorgue Hammond B3. Une basse, quelques choeurs, cest tout. Il fallait que la musique respecte le débit des paroles. P.F. : A propos le "parlé/chanté" de JJ me rappelle vraiment la tradition blues. E.B. : Cétait déjà comme cela au départ. Cest dans le style Dylan, Dylan blues. Idée toute simple dune personne qui raconte une histoire en saccompagnant à la guitare. Bien sûr, la voix, la musique, samplifient par moments, mais sans jamais dépasser le seuil qui nous ferait perdre cet état desprit voix, guitare. P.F. : Quelles soient profanes ou religieuses, les chansons accompagnent toutes les étapes de notre vie ? Un être humain normalement constitué, chante ou chantonne à tout âge. Malgré cela on qualifie souvent la chanson dart mineur par comparaison avec la musique classique, par exemple. Quel est ton avis ? E.B. : Majeur ou mineur, pour moi nest pas péjoratif. Tu ne peux pas écouter le classique comme tu écoutes la radio. Tu branches la radio, écoutes une chanson, cela te plaît ou pas. Tu nas pas besoin dapprentissage. Par contre tu écoute du classique, il te faut un apprentissage, ou la connaissance. Apprendre, décortiquer pour pouvoir entrer à lintérieur. Comme pour la peinture ou la sculpture par exemple. Je pense quà partir du moment ou la musique nécessite cela, et quelle survit à travers les âges, ont peu parler dart majeur. La fonction elle aussi est différente. La chanson a pour fonction dapporter un plaisir brut, instantané, daté, et souvent éphémère, et çà, cest aussi noble quune symphonie. Comme ont dit souvent entre musiciens, la Dance Musique est à la musique ce que le
Bottin est à la Littérature. Or on a plus souvent besoin dun Bottin que dun
livre de Proust. La chanson est primordiale puisquelle fait partie de notre vie de
chaque instant. Au moins autant que lart. La différence nest donc pas
qualitative pour moi. Cest un mélange de mineur et de majeur qui fait les belle
harmonies, après tout. |
QUAND TU DANSES P.F. : Que peux tu me dire sur cette chanson a lambiance très aérienne ? J.J.G. : "Je lai enregistrée très vite, avec une guitare Gibson ( que jutilise pour tout ce qui est acoustique) dans un style Folk song, cest à dire une histoire racontée avec une guitare. Lhistoire cest la question que se pose le personnage : Que devient on, après avoir aimé quelquun, lorsquon se sépare ? Quel est le statut ? Cest toujours ambigu, particulier : plus "amants", pas "étranger", pas "amis" non plus. Quoi ? Ici, lhistoire ne se termine pas de la même façon pour chacun des partenaires. On comprend que pour lui lhistoire nest pas tout a fait finie, alors quelle, danse, vit, tout simplement." P.F. : Ici, jai limpression que vous avez recherché encore plus de dépouillement ? E.B. : Cest ma chanson préférée. Que dire ? Tout était là : le texte, la mélodie, superbe. Toute notre attention a porté sur la manière de la chanter. Enregistrée comme les autres, à laube, pour avoir cette distance, un ton détaché, presque froid. Nous avons fait trois ou quatre prises de voix, très près du micro. Et systématiquement, nous avons coupé tout ce qui était trop...pathétique. Nous voulions cette opposition entre le texte qui est lourd de sens et cette voix qui dit presque froidement les choses. Nous tenions à éviter tout accent dramatique. Juste une petite nappe de synthétiseur derrière, suffisante pour ne pas polluer une ambiance guitare (arpège et voix) P.F. : Cela évoque une fragilité extrême. Un rien pourrait rompre le charme et tout le monde retient son souffle. E.B. : cétait le matin, nous étions tous les deux dans le studio. Peu de lumière, le calme. Toujours cette atmosphère intimiste. Il aurait été impossible dimaginer une telle ambiance dans leffervescence, le bruit. La réussite de cette chanson tient à son équilibre. Equilibre entre le texte et les silences, qui lui servent de ponctuation. Des silences dont la densité est essentielle pour souligner le sens du texte. Une nappe très aérienne pour ne pas détourner lattention du texte. Un équilibre complexe. Une alchimie rare à trouver. P.F. : Et lon passe darrangements très sophistiqués, à des passages extrêmement dépouillés comme voix et guitare acoustique, avec toujours à lintérieur, cette émotion, ce frisson intérieur. J.J.G. : "Cest une alternance très étudiée. Quand cest nécessaire il ne faut pas de demi mesure mais pour lintimiste, pourquoi rajouter de linutile ? Je ne me sens jamais frustré den faire peu. Seul le final compte et lémotion qui en reste."
P.F. : Je sais que tu aimes le sport. Est-ce par hasard davoir choisi un coureur ? J.J.G. : "Oui et non. Il se trouve que jaime regarder les championnats à la télévision et notamment lathlétisme où lon voit des hommes qui auparavant couraient seuls, pour leurs déplacements, dans des montagnes ou des hauts plateaux dAfrique, et qui soudain se trouve plongé dans un univers aux antipodes, hyper médiatisés, sponsorisés, sous le regard du monde entier. Cest ce décalage violent et les images fortes qui en découlent qui mémeuvent. Ces hommes vont vivre tant de choses nouvelles : ils rentreront chez eux couverts dhonneurs, dargent, avec un statut nouveau qui en fera des étrangers dans leur propre pays. Mais je ne porte pas de jugement. Après tout ce destin vaut peut être bien celui qui les aurait laissés dans leur vie simple, rude, dhommes qui nauraient rien vu du monde." P.F. : Dès la première écoute, jai été frappé par cette sensation parfaitement rendue de la foulée du coureur. E.B. : Ici cest le cas type dillustration du texte que doit faire larrangeur. Tout de suite puisquon parle de coureur, jai tout de suite cherché un mouvement extrêmement hypnotique comme le mouvement régulier de la foulée dun coureur. A travers toute la construction il y a ce côté mécanique de la course à pied, avec la respiration, comme quelquun dont le souffle samplifie. Les percussions, pour le côté primitif, tribal. Jai beaucoup travaillé sur cette sensation pour bien illustrer le texte. P.F. : Avez-vous été JJ et toi, rapidement daccord sur cette pulsation ? E.B. : La maquette étant un peu floue, nous avons discuté pour savoir si lon restait sur une chanson voix / guitare, si lon mettait ou non en avant cette couleur africaine. Cest une chanson ou la maquette comportait déjà les paroles définitives. Cela ma beaucoup aidé à baigner dans le bon climat, à comprendre lesprit général du texte. Jétais donc parfaitement en harmonie avec lidée de JJ. Arrive ensuite avec lentrée dune basse énorme et dune guitare slide, une ambiance plus urbaine. Des guitares très attaquée et puis vers la fin, un retour à des choses plus calmes. P.F. : Vous travaillez en équipe, cela semble vous réussir parfaitement. Parle-moi, si tu le veux de cet esprit déquipe ? E.B. : Tout le monde parle, tout le monde exprime ses idées. Après ce travail déquipe il y a un "BOSS", cest normal, cest lui qui décide. Mais chacun a le sentiment davoir apporté sa touche à la construction de lalbum. JJ a la qualité première de tout artiste : savoir ce quil ne veut pas. Enthousiasme, argumentation, réflexion et décision sont les 4 phases qui caractérisent notre travail en commun, rapide et réalisé dans un "bon esprit". |
JUSTE QUELQUES HOMMES P.F. : Penses-tu que dans un groupe dhomme, il y en a toujours au moins un de bon et de juste, ou quil y a toujours un côté juste et bon dans chaque homme ? J.J.G. : "Ni lun, ni lautre ! Je crois, au contraire, que dans un groupe dhommes il y a toujours un mauvais. Et lhistoire de lhumanité nous montre que lon a plus manqué de saints que de tortionnaires. Au départ je suis parti de ces "extrémistes", ces hommes toujours présents dans les lieux extrêmes, où les autres espèces, animales, végétales, ont renoncé. Ensuite, en écrivant la chanson, tu te dis que ce sont les hommes aussi qui vont le plus loin dans lhorreur, la cruauté mais aussi dans la sainteté. En fait, cest une chanson sur nos excès, en bien ou en mal." P.F. : Et sur le plan musical, ne semble-t-elle pas un peu décalée, par rapport aux autres chansons de lalbum ? J.J.G. : "Peut être. Elle est plus "orchestrée", plus "électrique". Plus "planante" aussi. Eric et les guitare de Patrick Tison sont déterminants pour ces ambiances." P.F. : Tout de suite cette chanson nous transporte dans dimmenses espaces. On vole, on plane, avec lagréable sensation dêtre dans un espace déjà visité par Goldman. E.B. : Vu le sujet on a voulu opposer la petitesse de lhomme et la grandeur des éléments qui nous entourent. Donc, des climats de synthétiseurs, des nappes, des infra basses où la voix semble se perdre. Egalement des nappes de guitares en écho. Des guitares déchirantes. Et aussi une petite percussion mécanique avec cette fameuse batterie électronique TR 808 (une référence chez Goldman). Des bruitages dans lespace. Cest vrai, cest très "Pinkfloydien", très planant. P.F. : On le ressent parfaitement. E.B. : Alors cest bon : pari gagné ! P.F. : Raconte-nous, comment naissent les sons, comment les mémorises-tu, les travailles-tu ? E.B. : Jai le problème de tous ceux qui travaillent beaucoup. Ils finissent par senfermer dans des systèmes pas toujours facile à casser. En tous cas cela dépend des artistes. Jai tout une bibliothèque de sons ? Des kits de sons que jutilise comme base de travail. A partir de là je vais chercher dans mes expanders, dautres sons avec lesquels les marier. Je peux chercher autant de temps que je veux à rechercher sans aucune restriction de temps et de budget. P.F. : Si je comprends bien, ces machines fabuleuses peuvent apporter beaucoup, mais elles exigent au préalable beaucoup de toi ? E.B. : oui, et beaucoup de temps. Le son est quelque chose de capricieux et ces mélanges subtils réclament matériel, temps et patience. Jadore cette cuisine. Je la fais chez moi, ainsi en arrivant en studio, je nai pas de surprise. P.F. : Ne me dits pas quavec tes samplers, tu imites même les guitares ? E.B. : Si. Jai fait des guitares synthés. Je les garde car JJ aime ça.
Tous les plans U2 par exemple, je les fais très bien au clavier. Je dis simplement que,
noyés dans des masses, ce sont des sons qui passent très bien. Mais il ne peut être
question de remplacer un guitariste. (Ouf !) E.B. : Nous parlions précédemment du travail avec JJ. Ici justement, dans la première version nous avions un problème de voix. Elle était ou trop aigu, ou trop grave. Impossible à passer. Jai suggéré à JJ de changer carrément de ton au milieu du morceau. Et du coup, impeccable. Il démarre la chanson dans un ton, et au milieu il monte dune tierce. Ce nétait pas prévu au départ. Cet exemple illustre lintérêt du travail déquipe. P.F. : Sachant combien JJ et toi vous aimez le piano, je métonne quil ny en ait pas dans cet album. E.B. : Le piano accompagne une chanson, mais cest vrai que JJ a composé cet album essentiellement autour dune guitare. Il y a des pianos électrique, type Fender mais je trouve que cest tellement commun que jessaye, autant que possible de les remplacer par un riff de guitare. Cest plus intimiste. P.F. : Et pour le spectacle qui se prépare, même ambiance avec beaucoup de guitares ? E.B. : Même idée, JJ seul devant son public. Quelques musiciens, mais cest lui qui assurera la majeure partie du spectacle, seul avec sa guitare. Des accessoires, des décors, des lumières, mais le tout très centré sur JJ. P.F. : Cest une chanson que jadore. Ce thème me touche comme musicien et comme homme. J.J.G. : "Ah oui ! Elle est extrêmement particulière dans cet album et les avis sont très partagés. Il y a ceux qui disent : jaime ton album, sauf "nos mains", et ceux qui disent : je suis déçu par cet album, sauf pour "nos mains" ! P.F. : Nest ce pas la plus " goldmanienne " ? J.J.G. : "Voilà, la plus "traditionnelle". Cest la "chanson fossile" de ce que je faisais avant. Donc certains sont un peu déçus par "quand tu danses", "tout était dit", et ils me retrouvent un peu dans "nos mains". Il y en a dautres au contraire que ça gène, cest amusant. Mais jen avais conscience dès le départ. P.F. : Revenons au texte que jaime beaucoup. Est il laboutissement dun long chemin ? La main, outil subtil ou machine de guerre ? Lorsque tu joues, tes mains sont tellement indispensables pour traduire tes sentiments. J.J.G. : "Non, cest une idée récente. Un jour jai remarqué ce côté dur avec ongles et poings, et lautre avec une peau tellement plus fragile..." P.F. : Et musicalement, là aussi une rythmique, une progression ? J.J.G. : "Oui, cest une des seules chansons de cet album où il y a des choeurs, (jadore les choeurs). A la limite cest plus du FGJ." P.F. : Avec une couleur radicalement différente ? J.J.G. : "Oui, de même que "Rouge" avait une couleur un peu différente : plus électrique, plus orchestrée, plus sophistiquée, plus "produite". P.F. : Avec "Rouge", dès les premières notes on reconnaissait lambiance Goldman. Et puis quel fabuleux spectacle ! De la première à la dernière note, de lémotion, des surprises. J.J.G. : "Cest un bon souvenir, pour tous. Le spectacle le plus abouti. Après on ne sait plus quoi faire !" P.F. : Jusquau dernier moment il sy passait quelque chose, avec une débauche didée et dénergie. J.J.G. : "Cest du à ma difficulté dêtre en scène. Jai
tellement peur et je me trouve tellement peu capable de tenir une scène que je me suis
toujours beaucoup entouré. Il me faut un spectacle construit. Mais jadore ça.
Cest le show de tout une équipe. Je ne suis pas seul en scène." P.F. : Dans ce titre, on entend un mélange dinstruments électriques et acoustiques tels quaccordéon, violon, balalaïka. Ce mélange des sons est ce le retour dune époque acoustique ? J.J.G. : "Il y a deux phénomènes. Lémergence dune musique sans instruments comme la techno où il ny a que des samplers et en même temps, non pas un retour, car il y a toujours eu, mais une redécouverte des instruments acoustiques et de lémotion quils procurent. Lun étant peut être lié à lautre, cest à dire quà force dentendre des sons tellement abstraits, retrouver des sons aussi simples que laccordéon ou une voix, sont des choses qui nous bouleversent encore plus." P.F. : Est ce quil ne sagit pas là dun besoin vital lié à nos racines ? J.J.G. : "Je ne sais pas si lon en a besoin mais en les redécouvrant, on se rend compte à quel point ils nous procurent des émotions. Une personne chante "A Capella" et réveille des sensations que lon avait presque oubliées. Du fait daller en discothèque, de ne plus entendre de groupe en direct, découter des synthétiseurs ou de la musique dans les ascenseurs. On est à un moment où lon redécouvre toutes ces choses là, cest sur. Savoir si cela est vital, je ne sais pas." P.F. : Effectivement on redécouvre et on va plus loin, on associe, on mélange tous ces instruments, tous ces sons, sans aucun a priori. J.J.G. : "Oui, je crois que lon peut tout mélanger, le seul critère reste lémotion que cela procure. Récemment jétais en tournée avec le chanteur G. Arzel où lon jouait avec une cornemuse. On ne peut rien imaginer de plus prenant. Et pourtant un instrument si simple. Une peau de bête, lair et quelques tuyaux. Un gémissement comme un gémissement animal." P.F. : Dans cette chanson à consonance slave on retrouve beaucoup dinstruments acoustiques. Des vrais, jespère ! E.B. : JJ arrive quelques fois avec une chanson de ce type. Ce sont quelque part ses racines, lesquelles avaient déjà été montrées dans "Rouge". A lécoute de la chanson, il était évident que pour que cela sonne vrai, il fallait adjoindre des vrais musiciens russes. Le trio violon, Balalaïka, accordéon savérait indispensable. JJ a fait la partie de piano et ensuite on a cherché dans des cabarets et restaurants russes. Il nous fallait des gens ne sachant jouer que cela. Nous les avons trouvé et nous leur avons dit : "Voilà, faites comme si vous étiez chez vous, entre vous, jouez !" Ils ont vu rapidement la mélodie et puis ils ont joué et improvisé. Cétait super. Exactement ce que nous voulions. Cest bien de prendre des musiciens uniquement pour le style où ils excellent. Pas de virtuose. Non. Des musiciens qui jouent et possèdent à fond une musique. P.F. : Le public aime le son de ces instruments mais les connaît-il vraiment et sait-il même doù ils viennent ?E.B. : Ce nest pas important. Celui qui écoute se dit : "tiens, cet air fait russe." Il sait que cela vient dailleurs. Limportant cest que cela serve la chanson, et quen lécoutant, ils pensent au plaines de Sibérie. Quils voyagent. Cest de lexotisme, et cela colle au texte. |
LES MURAILLES JJG : "Erick a énormément apporté sur ce titre. Moi, javais juste lidée de cette ambiance très moyennageuse. Trop peut être. Il la modernisé, la rendu plus évidente." PF : Tout individu se sent concerné par la dernière phrase de la chanson : "moi javais cru si fort que ça durerait toujours" ? JJG : "Je me souviens exactement quand lidée de ce texte mest venue. Cétait lors de la "tournée des campagnes" et je jouais à Carcassonne où tout près, de toute façon je dormais là. Le soir, après le concert et le dîner jaime marcher. Et là je me suis retrouvé sous les remparts. Je me suis dit quau même endroit il y a plusieurs siècles il y avait quelquun qui construisait, pierre après pierre avec le sentiment que ce quil était en train de construire durerait toujours, léternité !... Et aujourdhui partout ces écriteaux "Ne pas toucher" car ces pierres seffritent, tombent et finiront par disparaître. Ensuite nous avons joué toujours dans le sud à Barjol. Cest une ville qui a été pendant des siècles, le plus important centre de tannerie. Une magnifique rivière avec tout le long des dizaines de tanneries. Et des gens qui venaient de partout. Les habitants étaient maîtres dans lart du tannage et il y avait toujours un énorme besoin de ces cuirs. Et aujourdhui, Barjol est un jolie petit village, avec des dizaines dusines mortes le long de sa rivière. Je suis persuadé que ceux qui travaillaient là, qui eux même étaient fils et petit fils de tanneur se disaient que Barjol était et resterait le centre du Monde de la tannerie. Voilà ces sentiments de "toujours" que lon peut avoir a certains instants. Partant de là tu penses également aux gens du Nord. Là aussi tout le monde pensait que le travail du charbon ne sarrêterait jamais, quil y en aurait pour toujours. Et bien non. Des régions entières sont abandonnées, sinistrées. Et puis, comme cest une chanson, tu termines en disant que même lorsque tu crois être avec quelquun pour toujours, on la tous vécu, cest pas toujours pour "toujours". Et puis cest sûr au moment où tu le dis, tu y crois dur comme fer. On dit alors tous une phrase (dont je ferai un jour une chanson) "Nous, cest pas pareil" qui est la phrase la plus prétentieuse du monde. Mais si... Pour nous tous, cest pareil. Et tu y crois très honnêtement. Des millions, des milliards dhommes lon dit, et la diront encore demain... Et cest très bien dy croire." EB : Sur la maquette il y avait une ambiance médiévale encore plus poussée. Après réflexion on a gardé partiellement cette tendance avec le clavecin et le hautbois tout en rajoutant dautres choses se raccrochant à lillustration du texte avec une idée de modernisme pour quelle soit également plus actuelle. PF : Par contre ce qui ma surpris cest le blanc entre les phrases : le silence brutal. E.B. : On revient là à limportance du silence en musique. Cest une ponctuation, la respiration de la phrase. Cest peut être choquant au début, mais je pense que cette découpe des phrases donne à chaque mot son poids. Pour le côté anecdotique, il y a des radios qui nous ont appelé pour nous dire quil y avait des trous dans ce titre. Dautre aussi qui nous ont dit que le titre était en mono. Et oui, pour avoir un effet, jai mixé la fin du titre en mono. Non ce nest pas un défaut, je vous rassure. Cest voulu. PF : Ce nest pas forcément la chanson grand public de lalbum... EB : Grand public, non. Par contre, je pense quen spectacle, elle pourrait être intéressante. Ce climat particulier se prête à la mise en scène...
JJG : "En fait, cette chanson a une histoire bizarre. Javais fait pour lalbum 11 ou 12 chansons. Lune des chansons rapides était un hommage au groupe STATUS QUO, avec reprise de beaucoup de leurs rythmes. (Je la ferai un jour). Elle parlait dun type que jai rencontré dans un bar, vers 3 heures du matin, un jeune de quinze ans aide cuisinier à Montauban monté spécialement à Paris pour un concert de STATUS QUO. Je trouvais cela fou. Ce jeune qui nétait même pas né alors que le groupe était déjà connu, qui avait sans doute claqué sa paye pour venir au concert, et qui maintenant, là, attendait le premier train du matin pour rentrer chez lui. Finalement je me suis rendu compte que cette chanson navait absolument pas sa place rythmique dans cette album. Il ma donc manqué un titre rapide. A lécoute des autres chansons je me suis fait le portrait robot de la chanson manquante. Il fallait quelle soit rapide, binaire, avec des guitares acoustiques. Un peu dans lesprit "je te donne". Jai travaillé sur cette idée. Cest presque une chanson de commande, la pièce qui manquait pour finir mon puzzle. Et bizarrement cest une des chansons qui plaît le plus." PF : Ca cest pour la musique, mais les paroles, les avais tu déjà quelque part, dans un coin de ta tête, sur un papier ? JJG : "Non, javais des phrases isolées comme "tous ces gens quon voit vivre comme sils ignoraient quun jour il faudra mourir". Juste quelques phrases mais dans ce cas-là, cest vraiment la musique qui induit un type de texte de route. Cest une musique qui parle des routes. PF : Prendre ou "faire" la route, cest aller ailleurs vers quelquun ou quelque chose, cest vivre des choses seul ou avec dautres. JJG : "Dans la vie, au départ, on veut obtenir des choses : avoir un diplôme, désirer une personne, un métier, une maison, etc. Ensuite, lorsque lon a pris un peu dâge, on se rend compte que le plus intéressant ce nest pas ce que lon obtient, cest la route pour y arriver. Très souvent. Cest lapologie des routes disant que cest le chemin qui mène à lendroit dont je rêvais, qui est important. Cest la route elle même qui est intéressante. Cest bon datteindre son but mais les souvenirs que lon garde sont ceux que lon a vécus pour y arriver. Lintérêt dune vie, ce sont ces routes... Pas les réussites." EB : Pas de doute pour cette chanson, cest le type même de la Road Song. Il ny a eu aucune ambiguïté sur ma manière de la traiter : autoroute - highway. Genre Beach Boys. Cest une école qui nous est familière. On a fait 6 pistes de guitares acoustiques, 6 cordes et 12 cordes : un mur de guitares. Il na pas fallu plus dune journée pour tout mettre au point : basse, guitare, batterie, et un léger choeur vers la fin du titre. Cest le seul morceau où lon a une véritable batterie. Bien faire sonner le saxophone nous a posé quelques difficultés du fait quil joue dans le registre suraigu. Cest le type de chanson que lon écoute le matin et qui vous donne immédiatement la pêche. Facture classique mais elle a vraiment sa place dans lalbum.
P.F : En écoutant cette chanson, tout de suite, une nostalgie nous étreint, on sait que quelque chose se termine, lheure est venue de se quitter, on referme un album. E.B. : Cest une magnifique chanson sur le temps qui passe. Très Goldman, on y retrouve lambiance de "puisque tu pars". On comprend immédiatement que cette chanson est la dernière, quelle annonce la fin de lalbum. Et je pense que cest sur cette chanson que se clôturera le concert. Ici encore, toujours une voix enregistrée très tôt le matin, une voix très proche, très désabusée. Il sagit là dune chanson de maturité qui se réfère à un vécu. Elle nous a procuré beaucoup de plaisir. Une construction que lon a voulu fragile au début, douce, avec une guitare que rentre doucement et qui part dans un immense solo. Ce solo nest pas une improvisation. Dailleurs, ici, JJ la entièrement écrit. Il lavait dans la tête depuis longtemps, et il en a vraiment écrit chaque note. Des progressions qui se rajoutent par couches successives avec un grand souci déquilibre en laissant toujours une place à cette guitare. Pour cette chanson aussi, nous voulions préserver ce côté intimiste ; Pour éviter toutes explosion, il fallait contenir, rentrer les différents éléments. Réussir une progression sur la longueur, sans jamais casser cette douceur, cette mélancolie. Tout en maintenant le rythme jusqu'à la fin. On aurait pu changer le son pour le grossir. Mais on y a renoncé car on voulait garder ce côté hypnotique et ne se servir des nappes que pour la progression sonore. P.F. : Erick, au terme de tout ce travail avec JJ, maintenant à la sortie de cet album, quel est ton sentiment ? E.B. : Pour moi le plaisir de cet album doublé dun défi, consistait à entrer dans le projet de JJ, sans polluer son climat intimiste, sans le dénaturer, en y mettant une touche discrète, très personnelle. Je suis très content davoir pu atteindre cette osmose. Lalbum a été conçu pour être réalisé par une équipe réduite, dans une plus grande proximité. Je dirai que ce fut une très belle aventure de complicité. P.F. : La dernière chanson de lalbum, déjà, et pas la moindre puisquelle donne son nom à lalbum. Ta préférée, peut être ? JJG : "Jen ai dabord fait la musique, longtemps je me suis demandé si je la donnais à Céline DION ou bien si je me la gardais. Finalement (grand sourire) je me la suis gardée. Je me souviens de nuits entières à jouer sur cette suite daccords. Et, tout doucement, le texte est arrivé. Elle sest dabord appelé "une place pour toi". Deux ou trois fois jai changé le texte et finalement quand jai trouvé "En passant", jai su que ce serait le titre de lalbum. Mais très longtemps, je suis resté uniquement avec la musique, et il est vrai que jai eu beaucoup, mais alors beaucoup de mal à mettre un texte sur cette musique." PF : "En passant", lexpression est courante mais jaimerai connaître le sens que tu lui donnes ici. JJG : "Il y en a deux : Dabord celui dun passant ; nous sommes tous des passants ; et, en passant, en "faisant notre temps". Quelquun prend congé de sa jeunesse, cest un constat quil fait sans tristesse "Tout ce quon ne sera jamais, déjà". Mais réaliste et mélancolique. En passant dans cette vie, visiteurs dun monde qui continuera après nous et que nous avons la chance de traverser. Ce qui est précieux, dans une chanson ou dans toute autre création, cest lorsque tu te parles à haute voix et quil y a dautre personne qui te disent ressentir la même chose. Peut être que lart sert à ça." PF : Lorsque ton propos trouve un écho ? JJG : "Oui, cest vraiment intense, ce sentiment de pouvoir traduire ce que certains ressentent sans pouvoir forcément le dire. Cest un immense plaisir." PF : La chanson fait partie de ta vie. Comment la ressens-tu ? Chanson dun moment ? Chanson dune époque ? Ou chanson de toujours ? JJG : "Pour moi la chanson est lart de linstantané, du moment et pour cela elle est irremplaçable... Comme un parfum. Pour vraiment connaître une époque et tout ce qui sy rattache, il faut écouter ces chansons. Cest peut être un art éphémère qui ne révèle sa pleine valeur quà un moment donné. De toutes façon, la pérennité dans lart en général est très discutable. La chanson se démode peut être beaucoup plus que le reste mais, par contre cest une photo de lépoque vraiment unique... Elle est complètement liée au contexte, contrairement, par exemple à la littérature ou à la peinture qui peuvent sapprécier en dehors de tout contexte... Et encore." PF : JJ, juste avant que tu repartes jouer tes chansons, puisquelles sont faites pour cela, une conclusion sur ta dernière création. JJG : "Jentends dire que cest un album assez triste et intimiste. Moi je dis que cest lalbum que je devais faire. Je nai pas le choix, de la même manière que je ne lai pas eu pour "Rouge", pour "Frédéricks-Goldman-Jones", pour "Entre gris clair et gris foncé". Entre deux albums, il se passe deux ou trois ans pendant lesquels je vis, je rencontre des gens. Et lorsque jécris mes chanson, tout naturellement, celles-ci reprennent les thèmes qui mont le plus touché. Avec un peu de recul, je me dis que cest un album que je naurais pas pu faire avant aujourdhui, dans le sens où beaucoup de texte portent lempreinte de l'âge, sujet qui mintéresse actuellement... Comme tous les hommes qui mettent le cap sur la cinquantaine ! (rires) ! Nest ce pas mon cher Paul ?" Propos recueillis par Paul FERRETTE |