En Passant...
Tant de rêves en partage

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Photo : Claude Gassian - Réalisation : Hit Diffusion

Première partie :
Récit de Paul Ferrette, bassiste
des Red Mountains Gospellers et des Phalansters

Deuxième partie :
Interview de JJG par Paul Ferrette


(Retranscription :
Benoit Dudoret)

 


PREMIERE PARTIE

C’était en 1967.

A Montrouge.

Une date et un endroit que nous n’oublierons jamais.

Lorsque, en passant par là, il est entré, nous étions en pleine répétition. Répétition morose, ce jour là nous n’avions pas la pêche ! Et pourtant Jean-Jacques, lui, trouva cela très intéressant ; il resta un long moment à nous écouter.

Le dimanche suivant, même heure, même local paroissial, et l’effervescence à l’heure de monter et brancher le matos. Et en plus une jubilation nouvelle car Jean Jacques était revenu et avec l’accord du curé des lieux, de simple passant il devint organisme de notre Groupe.


Nous ne doutions pas encore des incidences qu’aurait cette visite impromptue sur notre avenir. Car c’est ce dimanche qu’insidieusement commença notre dérive : du religieux au gospel, puis du gospel au blues, et enfin du blues au rock.

Le plus étonnant, c’est qu’à cette époque personne autour de nous ne parut s’étonner de ce glissement. Pas même curé qui aurait pu freiner notre ardeur peu...orthodoxe à animer des messes où de plus en plus de jeunes du quartier venaient comme à un concert. A bien y réfléchir, je soupçonne ce prêtre d’avoir eu un goût marqué pour le côté feeling, blues, de cette musique. Et de l’apprécier au point d’espérer qu’en touchant la carte sensible des jeunes de sa paroisse, elle aurait le pouvoir d’exalter leurs aspirations les plus nobles.

En tout cas, c’est lui que créa la surprise, un dimanche après une messe au bouquet final très électrique, très rock, en venant nous proposer tout de go de nous avancer l’argent pour faire un disque " si cela vous tente, dit-il ! ". Si cela nous tentait ? Malgré notre stupéfaction, nous avons réussi à l’instar d’adulte réclamant un délai de réflexion, à nous imposer en apparence de flegme. Le temps de foncer au local, de l’autre côté de la rue. Et là une fois la porte refermée, notre joie a explosé dans un délire tant gestuel que verbal, ponctué de rires.

Cet épisode fait partie des moments culminants de notre vie d’artiste, gravé à tout jamais dans la mémoire et le cœur.

Peu de temps après nous sommes donc allés enregistrer ce fameux disque vinyle des Red Mountains Gospellers. Jean Jacques y jouait de la guitare acoustique, de l’harmonica et de l’orgue, tout en participant au chœur. La composition du groupe était complète ; un lead vocal et guitare, une guitare d’accompagnement 12 cordes, un orgue, un harmonica, un bassiste, un batteur, et trois choristes.

Le contrat passé avec notre curé prévoyait l’animation de quelques messes, ici où là pour vendre notre disque - ce disque fabuleux ! - et rembourser la somme empruntée. Cet arrangement nous convenait car il sous entendait que d’accord sur le principe, nos parents ne pouvaient ni limiter ni interdire nos répétitions ou nos concerts dans les églises. Nous étions en quelque sorte en contrat avec le Bon Dieu, via notre serviteur direct, notre très cher curé. Ainsi, d’église en église, nous avons porté cette musique qui était la nôtre, vivant à partir de ce fameux vinyle notre première expérience de groupe.

Mais toutes les belles histoires ont une fin. Et vint le moment où il fallut se séparer pour que chacun, à sa manière selon sa personnalité et son style, poursuivre son évolution musicale.


Jean le batteur, Jean-Jacques à la guitare, et moi à la basse, nous avons décidé de monter un groupe plus blues, rock, pop... Avec un gros son, une batterie au tempo en béton, des sons de guitare à la Hendrix ou la Led Zeppelin. Evidemment, il nous manquait un chanteur et un organiste.. Mais fort d’une foi consolidée d’une messe à l’autre, notre optimisme restait inébranlable. A juste titre, puisque ceux ci arrivèrent un Samedi à la répétition, ce moment culte dont dépendait le climat de toute la semaine : en effet, l’absence de répétition sapait notre moral, huit jours mous et gris, dans le brouillard, c’était ainsi...déjà, la musique était notre drogue.

Les deux nouveaux - Christian, le plus jeune qui se disait chanteur, et son frère Alex, organiste - furent donc conviés à jouer avec nous quelques bons vieux morceaux, des standards et pourquoi pas, une impro sur une grille blues. Bien, très bien ! Nous étions content les uns des autres. Cette excellente impression scella le groupe - Le Phalanstère - désormais au complet pour se préparer au concours du Tremplin du Golf Drouot.

C’est au cours de cette période que Jean-Jacques s’imposa par ses qualités, notamment sa volonté et son sens de l’organisation.

A son avis, la voix de Christian, le chanteur, était trop claire. Cela l’ennuyait. Et nous aussi, car avec sa force de conviction naturelle, il ne tarda pas à nous persuader qu’il avait raison. Christian entreprit de casser sa voix, par exemple en hurlant le soir dans le métro jusqu'à couvrir le bruit des machines, ou provoquer un enrouement en s’exposant aux courants d’air. Un professeur l’aurait sans doute encouragé : " Beaucoup d’effort, élève obstiné. Intéressant, à suivre... ". Le résultat fut en effet intéressant et peu à peu la voix de Christian devint plus épaisse, plus éraillée, plus grave. Super ! Cette voix chaude et bluesy, nous l’aimions tous, et finalement le chanteur aussi.

Son sens de l’organisation, Jean Jacques l’affirma en nous suggérant de partir tous ensemble pour travailler et monter notre premier répertoire, et être en mesure de proposer des concerts d’au moins une heure et demi à deux heures. Coup de chance, les parents du batteur nous prêtèrent leur maison en Normandie le temps des vacances scolaires. Rien ne s’opposait plus à notre projet.

Je me souviens peu des paysage, et pour cause... A part une promenade, nous avons fait essentiellement de la musique. Nuit et jour. Le matériel occupait le rez-de-chaussée et restait monté en permanence, ce qui nous permettait de démarrer à toute heure. Nous avons énormément travaillé, certes pas sur des devoirs d’anglais ou d’histoire/géo, comme pouvaient l’imaginer nos parents, mais ce fut vraiment un travaille acharné. Aucune concession, aucun cadeau. Pour chaque morceau, nous allions au bout de nos exigences. Et tant que quelque chose, ne fut-ce qu’un détail, nous chagrinait, nous reprenions jusqu'à en être totalement satisfaits.

Aboli le rythme du temps. Sans horloge, plus de jour plus de nuit. Uniquement les indispensables moments de repos. Dormir et, sitôt réveillés, engloutir un copieux petit déjeuner et...foncer, encore en pyjama, sur le matériel. Et un, deux, trois...c’était reparti pour des heures. Je me souviens encore de l’odeur particulière que dégageaient les amplis restés tellement longtemps sous tension.

Quel plaisir de voir notre répertoire s’enrichir au fil des jours ! Et de nous imaginer jouer des heures d’affilée ! Comme les grands. Comme de vrais musiciens. Enchaîner les morceaux, les solos pour tenir la scène et maintenir l’ambiance : tel était notre cahier des charges, et nous avons réussi à le tenir.

Le huitième jour, nous étions prêt pour deux grandes heures de musique. Cela tournait rond, le son était gros, les tempos super. Et la voix du chanteur de plus en plus cassée, de plus en plus chaude.

En avant pour les concerts, les M.J.C., les "Boîtes" en province. Et enfin le lieu où nous allions nous frotter aux meilleurs groupes du moment : le Golf Drouot et son Tremplin.

Nous nous y sommes inscrits. Nous l’avons fait et... nous l’avons gagné !

Voilà c’était juste quelques souvenirs, de ces souvenirs qui, dès qu’ils vous reviennent, déclenchent en vous une tempête de bonheur, et que je remuais en attendant Erick Benzi et Jean-Jacques Goldman pour l’interview de ce nouvel album "en passant".

De 1967 à 1998... Plus de trente ans, déjà !

Paul Ferrette.

 

DEUXIEME PARTIE

SACHE QUE JE

Paul Ferrette : Quand on écoute " Sache que je... " le réflexe nous vient naturellement de terminer la phrase à ta place : Sache que je... t’aime ! Pas pour toi ?

Jean Jacques Goldman : "Je suis sûrement un des chanteurs qui a écrit le moins de chanson d’amour et jamais le mot "je t’aime". On m’a demandé pourquoi ? Je ne le savais pas.

J’en parlais déjà dans un reportage effectué sur la tournée "Rouge" en remarquant que c’est une expression où l’on ne peut rajouter d’adjectif. "Je t’aime beaucoup" est beaucoup moins fort que "Je t’aime" tout seul.

Finalement tout le thème était là.

"Sache que je" veut exprimer des sentiments mais sans cette expression peut être galvaudée. Quand quelqu’un te dit "je t’aime" ce n’est pas aussi simple. Ce n’est pas forcément qu’il vous aime. Le mot est dangereux. D’autant plus dangereux que ce sentiment est si important."

P.F. : En remplaçant "je t’aime" par "j’existe" " je suis à tes côtés" on exprime autre chose, une autre vérité. Comment réagirais-tu à ce détournement de sens ?

J.J.G. : "Il ne me dérange pas du tout, je le trouve même très intéressant. Une fois terminée, la chanson ne m’appartient plus. Celui qui l’écoute, la joue, la chante, se l’approprie.

Beaucoup de mes chansons comme "puisque tu pars" "confidentiel" ont été comprises dans un sens complètement différent. En écrivant mes chansons, je ne me préoccupe pas du tout de ce phénomène. J’essaie d’exprimer le mieux possible, ce que je ressens. Je lance des propositions et ceux qui les écoutent en font ce qu’ils veulent.

Moi, j’ai commencé par aimer des chansons anglaises. Je prenais deux mots et je me faisais tout un scénario, qui neuf fois sur dix n’avait rien à voir avec l’histoire originale ! Mais peu importe : les chansons sont des propositions et chacun y prend ce dont il a envie."

P.F. : Et jusqu’où peut aller cette dérive ?

J.J.G. : "Elle n’a pas de limite. Ce n’est pas grave. Encore une fois, la chanson appartient à celui qui l’entend. Moi "Foxy lady" de Jimmy Hendrix, je ne sais pas du tout de quoi elle parle, mais ma version est la bonne puisque c’est ma version."

Eric Benzi : J’avais terminé l’arrangement, on avait tout "chécké" avec Jean Jacques, et puis je sais pas, une mauvaise manip informatique avec mon assistant, et on a tout effacé, tout perdu !... Il a fallut tout refaire.

La première fois que j’ai travaillé avec lui, c’était pour le premier album "Frédéricks, Goldman, Jones". Il m’avait demandé, ainsi qu’à d’autres d’arranger deux chansons. Mes arrangements lui ont plu car j’ai apporté quelque chose de nouveau tout en gardant la personnalité de l’auteur : c’est de cette symbiose que naît le feeling entre un arrangeur et un auteur-compositeur.

P.F. : Erick Benzi, la question qui s’impose à moi concerne la façon dont a travaillé le tandem Goldman/Benzi pour cet album.

E.B. : Comme d’habitude, Jean-Jacques me remet des maquettes et à partir de là, je travaille seul. Il y a déjà beaucoup de chose dessus, l’ambiance générale notamment. C’est plutôt à un travail de mise en forme que je me livre.

Ensuite, nous nous retrouvons. Les yeux fermés il écoute et c’est alors que nous travaillons : ici la guitare entre trop tôt ; attention la musique couvre la voix, etc... Ainsi, par touche successive, on ajuste.

Mais Jean-Jacques n’est pas derrière moi lorsque je travaille. Il me laisse aller au bout de mes idées, quitte à en proposer d’autres et à les retirer par la suite. Etant seul j’ai beaucoup de temps pour travailler, les nappes de synthétiseur enfin tout l’habillage. J’y attache une grande importance. Maintenant je connais bien Jean-Jacques, je sais très rapidement où il veut en venir. Bien sur il est primordial de coller à la mélodie. Sur certaines chansons, je prends parfois le risque de proposer des choses différentes, voire nouvelles.

J.J.G. : "Et même si l’on écrit pas de chansons d’amour où l’on dit "je t’aime" peut être que toutes les chansons parlent d’amour. Forcément."


BONNE IDEE

E.B. : Au départ j’ai fait un arrangement beaucoup plus orchestré. Cela n’a pas marché et nous sommes revenus à une dominante de guitare, comme sur la maquette, avec des habillages très légers. Je me suis régalé à faire une rythmique qui tourne, équilibrée, avec, pour la chaleur, la guitare qui guide bien la voix sans la faire trop rigide. C’est la plus gaie de l’album.

P.F. : Cette rythmique guitare est belle mais n’a pas l’air évidente du tout !

E.B. : Cette rythmique a donné du mal à JJ mais on a préféré que ce soit lui qui joue, pour l’ambiance. Ce n’est pas parfait, ce n’est pas approximatif non plus, c’est lui. C’est juste ce qu’il faut. Un autre guitariste nous l’aurait fait trop propre...trop parfaite. La guitare est mixée en mono, ce qui donne ce son très simple, très dépouillé. Comme lorsque l’on joue seul chez soi.

P.F. : Des arrangements simples..., une voix propre, très intimiste...on est loin de l’album " rouge " !

E.B. : Oui...c’est le retour de JJ en solo. Un album que nous avons réalisé à deux. Très peu d’autres musiciens. Peu d’effets. Le contraire de "Rouge" où il y avait beaucoup de musiciens, beaucoup d’effets et un choeur.

On est ici dans quelque chose de plus intimiste. Les traitements de voix ont donc été différents. Ainsi, nous nous avons vécu au studio, enregistrant les voix le matin au réveil, avant le petit déjeuner pour avoir le petit "rugueux" de réveil, avant que la voix ne devienne trop lisse.

P.F. : Cette chanson respire une gaieté assez inattendue ?

J.J.G. : "Ce thème du "bonheur de vivre", je le porte en moi depuis longtemps. Je le ressens profondément ; les plaisirs simples de la vie me rendent heureux et je crois que cette faculté de se réjouir de tout ne s’acquière pas : on l’hérite de ses parents à la naissance ou par l’éducation peut être. Mais elle n’a rien à voir avec la vie objective, la situation sociale etc. Si l’on est né avec le mal de vivre, comme le dit Barbara, il n’y a rien à faire contre cet état. Je pense que l’on ne peut se raisonner. Si tu "es" malheureux, tu vis vraiment malheureux.

Cet état de bonheur est évidemment une grande injustice, comme la beauté, l’intelligence dont on hérite, ou pas. Et parfois, ont est amené à le masquer sous peine de paraître presque obscène. Donc, merci d’abord à mes parents de m’avoir fait !"

P.F. : Si je résume : deux types d’individus apparemment semblables mais finalement différents dans leurs réactions face à la vie.

J.J.G : "Oui, et face à un malheur, les premiers vont rebondir sur autre chose, et les seconds vont sombrer. Chaque malheur est alors un prétexte pour couler mais le malheur n’a rien à voir. On n’a pas à les juger. Tous les actes quotidiens : courir, prendre une douche, faire l’amour, faire de la musique par exemple, me font hurler de bonheur. D’autres s’en tapent."


TOUT ETAIT DIT

P.F. : Dans cette chanson très blues, on retrouve ce que tu aimes : la guitare, le vieil orgue Hammond, les choeurs, une certaine ambiance...

J.J.G. : "Oui, bien sûr. Au départ, j’avais mis un saxophone que j’ai enlevé pour garder le "côté brut" de la chanson, juste avec des voix. Chose "inavouable" : la batterie est programmée ! Bien que ce type de chanson doit être jouée "live", tous les instruments ont joués sur le balancement d’une batterie programmée. Par contre ont a gardé la basse jouée.

La chanson dit simplement qu’il faut se fier aux apparences. Quand ont regarde quelqu’un qui ne se sent pas observé, on apprend sur lui des choses fondamentales. Il se livre plus que s’il parlait, ne triche pas. Avec des mots, on peut mentir se composer un personnage."

E.B. : Lorsque JJ me l’a amenée c’était déjà pratiquement une chanson guitare/voix. Le pari consistait à respecter cette ambiance, et à faire évoluer cette chanson sans jamais perdre cette base. C’est un blues du matin.

Je me suis amusé à jouer de l’orgue Hammond B3. Une basse, quelques choeurs, c’est tout. Il fallait que la musique respecte le débit des paroles.

P.F. : A propos le "parlé/chanté" de JJ me rappelle vraiment la tradition blues.

E.B. : C’était déjà comme cela au départ. C’est dans le style Dylan, Dylan blues. Idée toute simple d’une personne qui raconte une histoire en s’accompagnant à la guitare. Bien sûr, la voix, la musique, s’amplifient par moments, mais sans jamais dépasser le seuil qui nous ferait perdre cet état d’esprit voix, guitare.

P.F. : Qu’elles soient profanes ou religieuses, les chansons accompagnent toutes les étapes de notre vie ? Un être humain normalement constitué, chante ou chantonne à tout âge. Malgré cela on qualifie souvent la chanson d’art mineur par comparaison avec la musique classique, par exemple. Quel est ton avis ?

E.B. : Majeur ou mineur, pour moi n’est pas péjoratif. Tu ne peux pas écouter le classique comme tu écoutes la radio. Tu branches la radio, écoutes une chanson, cela te plaît ou pas. Tu n’as pas besoin d’apprentissage. Par contre tu écoute du classique, il te faut un apprentissage, ou la connaissance. Apprendre, décortiquer pour pouvoir entrer à l’intérieur. Comme pour la peinture ou la sculpture par exemple. Je pense qu’à partir du moment ou la musique nécessite cela, et qu’elle survit à travers les âges, ont peu parler d’art majeur.

La fonction elle aussi est différente. La chanson a pour fonction d’apporter un plaisir brut, instantané, daté, et souvent éphémère, et çà, c’est aussi noble qu’une symphonie.

Comme ont dit souvent entre musiciens, la Dance Musique est à la musique ce que le Bottin est à la Littérature. Or on a plus souvent besoin d’un Bottin que d’un livre de Proust. La chanson est primordiale puisqu’elle fait partie de notre vie de chaque instant. Au moins autant que l’art. La différence n’est donc pas qualitative pour moi. C’est un mélange de mineur et de majeur qui fait les belle harmonies, après tout.


QUAND TU DANSES

P.F. : Que peux tu me dire sur cette chanson a l’ambiance très aérienne ?

J.J.G. : "Je l’ai enregistrée très vite, avec une guitare Gibson ( que j’utilise pour tout ce qui est acoustique) dans un style Folk song, c’est à dire une histoire racontée avec une guitare.

L’histoire c’est la question que se pose le personnage : Que devient on, après avoir aimé quelqu’un, lorsqu’on se sépare ? Quel est le statut ? C’est toujours ambigu, particulier : plus "amants", pas "étranger", pas "amis" non plus. Quoi ?

Ici, l’histoire ne se termine pas de la même façon pour chacun des partenaires. On comprend que pour lui l’histoire n’est pas tout a fait finie, alors qu’elle, danse, vit, tout simplement."

P.F. : Ici, j’ai l’impression que vous avez recherché encore plus de dépouillement ?

E.B. : C’est ma chanson préférée. Que dire ? Tout était là : le texte, la mélodie, superbe. Toute notre attention a porté sur la manière de la chanter. Enregistrée comme les autres, à l’aube, pour avoir cette distance, un ton détaché, presque froid. Nous avons fait trois ou quatre prises de voix, très près du micro. Et systématiquement, nous avons coupé tout ce qui était trop...pathétique.

Nous voulions cette opposition entre le texte qui est lourd de sens et cette voix qui dit presque froidement les choses. Nous tenions à éviter tout accent dramatique. Juste une petite nappe de synthétiseur derrière, suffisante pour ne pas polluer une ambiance guitare (arpège et voix)

P.F. : Cela évoque une fragilité extrême. Un rien pourrait rompre le charme et tout le monde retient son souffle.

E.B. : c’était le matin, nous étions tous les deux dans le studio. Peu de lumière, le calme. Toujours cette atmosphère intimiste. Il aurait été impossible d’imaginer une telle ambiance dans l’effervescence, le bruit.

La réussite de cette chanson tient à son équilibre. Equilibre entre le texte et les silences, qui lui servent de ponctuation. Des silences dont la densité est essentielle pour souligner le sens du texte. Une nappe très aérienne pour ne pas détourner l’attention du texte. Un équilibre complexe. Une alchimie rare à trouver.

P.F. : Et l’on passe d’arrangements très sophistiqués, à des passages extrêmement dépouillés comme voix et guitare acoustique, avec toujours à l’intérieur, cette émotion, ce frisson intérieur.

J.J.G. : "C’est une alternance très étudiée. Quand c’est nécessaire il ne faut pas de demi mesure mais pour l’intimiste, pourquoi rajouter de l’inutile ? Je ne me sens jamais frustré d’en faire peu. Seul le final compte et l’émotion qui en reste."


LE COUREUR

P.F. : Je sais que tu aimes le sport. Est-ce par hasard d’avoir choisi un coureur ?

J.J.G. : "Oui et non. Il se trouve que j’aime regarder les championnats à la télévision et notamment l’athlétisme où l’on voit des hommes qui auparavant couraient seuls, pour leurs déplacements, dans des montagnes ou des hauts plateaux d’Afrique, et qui soudain se trouve plongé dans un univers aux antipodes, hyper médiatisés, sponsorisés, sous le regard du monde entier.

C’est ce décalage violent et les images fortes qui en découlent qui m’émeuvent. Ces hommes vont vivre tant de choses nouvelles : ils rentreront chez eux couverts d’honneurs, d’argent, avec un statut nouveau qui en fera des étrangers dans leur propre pays. Mais je ne porte pas de jugement. Après tout ce destin vaut peut être bien celui qui les aurait laissés dans leur vie simple, rude, d’hommes qui n’auraient rien vu du monde."

P.F. : Dès la première écoute, j’ai été frappé par cette sensation parfaitement rendue de la foulée du coureur.

E.B. : Ici c’est le cas type d’illustration du texte que doit faire l’arrangeur. Tout de suite puisqu’on parle de coureur, j’ai tout de suite cherché un mouvement extrêmement hypnotique comme le mouvement régulier de la foulée d’un coureur. A travers toute la construction il y a ce côté mécanique de la course à pied, avec la respiration, comme quelqu’un dont le souffle s’amplifie. Les percussions, pour le côté primitif, tribal. J’ai beaucoup travaillé sur cette sensation pour bien illustrer le texte.

P.F. : Avez-vous été JJ et toi, rapidement d’accord sur cette pulsation ?

E.B. : La maquette étant un peu floue, nous avons discuté pour savoir si l’on restait sur une chanson voix / guitare, si l’on mettait ou non en avant cette couleur africaine.

C’est une chanson ou la maquette comportait déjà les paroles définitives. Cela m’a beaucoup aidé à baigner dans le bon climat, à comprendre l’esprit général du texte. J’étais donc parfaitement en harmonie avec l’idée de JJ.

Arrive ensuite avec l’entrée d’une basse énorme et d’une guitare slide, une ambiance plus urbaine. Des guitares très attaquée et puis vers la fin, un retour à des choses plus calmes.

P.F. : Vous travaillez en équipe, cela semble vous réussir parfaitement. Parle-moi, si tu le veux de cet esprit d’équipe ?

E.B. : Tout le monde parle, tout le monde exprime ses idées. Après ce travail d’équipe il y a un "BOSS", c’est normal, c’est lui qui décide. Mais chacun a le sentiment d’avoir apporté sa touche à la construction de l’album.

JJ a la qualité première de tout artiste : savoir ce qu’il ne veut pas. Enthousiasme, argumentation, réflexion et décision sont les 4 phases qui caractérisent notre travail en commun, rapide et réalisé dans un "bon esprit".


JUSTE QUELQUES HOMMES

P.F. : Penses-tu que dans un groupe d’homme, il y en a toujours au moins un de bon et de juste, ou qu’il y a toujours un côté juste et bon dans chaque homme ?

J.J.G. : "Ni l’un, ni l’autre ! Je crois, au contraire, que dans un groupe d’hommes il y a toujours un mauvais. Et l’histoire de l’humanité nous montre que l’on a plus manqué de saints que de tortionnaires.

Au départ je suis parti de ces "extrémistes", ces hommes toujours présents dans les lieux extrêmes, où les autres espèces, animales, végétales, ont renoncé. Ensuite, en écrivant la chanson, tu te dis que ce sont les hommes aussi qui vont le plus loin dans l’horreur, la cruauté mais aussi dans la sainteté. En fait, c’est une chanson sur nos excès, en bien ou en mal."

P.F. : Et sur le plan musical, ne semble-t-elle pas un peu décalée, par rapport aux autres chansons de l’album ?

J.J.G. : "Peut être. Elle est plus "orchestrée", plus "électrique". Plus "planante" aussi. Eric et les guitare de Patrick Tison sont déterminants pour ces ambiances."

P.F. : Tout de suite cette chanson nous transporte dans d’immenses espaces. On vole, on plane, avec l’agréable sensation d’être dans un espace déjà visité par Goldman.

E.B. : Vu le sujet on a voulu opposer la petitesse de l’homme et la grandeur des éléments qui nous entourent. Donc, des climats de synthétiseurs, des nappes, des infra basses où la voix semble se perdre. Egalement des nappes de guitares en écho. Des guitares déchirantes. Et aussi une petite percussion mécanique avec cette fameuse batterie électronique TR 808 (une référence chez Goldman). Des bruitages dans l’espace. C’est vrai, c’est très "Pinkfloydien", très planant.

P.F. : On le ressent parfaitement.

E.B. : Alors c’est bon : pari gagné !

P.F. : Raconte-nous, comment naissent les sons, comment les mémorises-tu, les travailles-tu ?

E.B. : J’ai le problème de tous ceux qui travaillent beaucoup. Ils finissent par s’enfermer dans des systèmes pas toujours facile à casser. En tous cas cela dépend des artistes. J’ai tout une bibliothèque de sons ? Des kits de sons que j’utilise comme base de travail. A partir de là je vais chercher dans mes expanders, d’autres sons avec lesquels les marier. Je peux chercher autant de temps que je veux à rechercher sans aucune restriction de temps et de budget.

P.F. : Si je comprends bien, ces machines fabuleuses peuvent apporter beaucoup, mais elles exigent au préalable beaucoup de toi ?

E.B. : oui, et beaucoup de temps. Le son est quelque chose de capricieux et ces mélanges subtils réclament matériel, temps et patience. J’adore cette cuisine. Je la fais chez moi, ainsi en arrivant en studio, je n’ai pas de surprise.

P.F. : Ne me dits pas qu’avec tes samplers, tu imites même les guitares ?

E.B. : Si. J’ai fait des guitares synthés. Je les garde car JJ aime ça. Tous les plans U2 par exemple, je les fais très bien au clavier. Je dis simplement que, noyés dans des masses, ce sont des sons qui passent très bien. Mais il ne peut être question de remplacer un guitariste. (Ouf !)

NOS MAINS

E.B. : Nous parlions précédemment du travail avec JJ. Ici justement, dans la première version nous avions un problème de voix. Elle était ou trop aigu, ou trop grave. Impossible à passer. J’ai suggéré à JJ de changer carrément de ton au milieu du morceau. Et du coup, impeccable. Il démarre la chanson dans un ton, et au milieu il monte d’une tierce. Ce n’était pas prévu au départ. Cet exemple illustre l’intérêt du travail d’équipe.

P.F. : Sachant combien JJ et toi vous aimez le piano, je m’étonne qu’il n’y en ait pas dans cet album.

E.B. : Le piano accompagne une chanson, mais c’est vrai que JJ a composé cet album essentiellement autour d’une guitare. Il y a des pianos électrique, type Fender mais je trouve que c’est tellement commun que j’essaye, autant que possible de les remplacer par un riff de guitare. C’est plus intimiste.

P.F. : Et pour le spectacle qui se prépare, même ambiance avec beaucoup de guitares ?

E.B. : Même idée, JJ seul devant son public. Quelques musiciens, mais c’est lui qui assurera la majeure partie du spectacle, seul avec sa guitare. Des accessoires, des décors, des lumières, mais le tout très centré sur JJ.

P.F. : C’est une chanson que j’adore. Ce thème me touche comme musicien et comme homme.

J.J.G. : "Ah oui ! Elle est extrêmement particulière dans cet album et les avis sont très partagés. Il y a ceux qui disent : j’aime ton album, sauf "nos mains", et ceux qui disent : je suis déçu par cet album, sauf pour "nos mains" !

P.F. : N’est ce pas la plus " goldmanienne " ?

J.J.G. : "Voilà, la plus "traditionnelle". C’est la "chanson fossile" de ce que je faisais avant. Donc certains sont un peu déçus par "quand tu danses", "tout était dit", et ils me retrouvent un peu dans "nos mains". Il y en a d’autres au contraire que ça gène, c’est amusant. Mais j’en avais conscience dès le départ.

P.F. : Revenons au texte que j’aime beaucoup. Est il l’aboutissement d’un long chemin ? La main, outil subtil ou machine de guerre ? Lorsque tu joues, tes mains sont tellement indispensables pour traduire tes sentiments.

J.J.G. : "Non, c’est une idée récente. Un jour j’ai remarqué ce côté dur avec ongles et poings, et l’autre avec une peau tellement plus fragile..."

P.F. : Et musicalement, là aussi une rythmique, une progression ?

J.J.G. : "Oui, c’est une des seules chansons de cet album où il y a des choeurs, (j’adore les choeurs). A la limite c’est plus du FGJ."

P.F. : Avec une couleur radicalement différente ?

J.J.G. : "Oui, de même que "Rouge" avait une couleur un peu différente : plus électrique, plus orchestrée, plus sophistiquée, plus "produite".

P.F. : Avec "Rouge", dès les premières notes on reconnaissait l’ambiance Goldman. Et puis quel fabuleux spectacle ! De la première à la dernière note, de l’émotion, des surprises.

J.J.G. : "C’est un bon souvenir, pour tous. Le spectacle le plus abouti. Après on ne sait plus quoi faire !"

P.F. : Jusqu’au dernier moment il s’y passait quelque chose, avec une débauche d’idée et d’énergie.

J.J.G. : "C’est du à ma difficulté d’être en scène. J’ai tellement peur et je me trouve tellement peu capable de tenir une scène que je me suis toujours beaucoup entouré. Il me faut un spectacle construit. Mais j’adore ça. C’est le show de tout une équipe. Je ne suis pas seul en scène."

NATACHA

P.F. : Dans ce titre, on entend un mélange d’instruments électriques et acoustiques tels qu’accordéon, violon, balalaïka. Ce mélange des sons est ce le retour d’une époque acoustique ?

J.J.G. : "Il y a deux phénomènes. L’émergence d’une musique sans instruments comme la techno où il n’y a que des samplers et en même temps, non pas un retour, car il y a toujours eu, mais une redécouverte des instruments acoustiques et de l’émotion qu’ils procurent. L’un étant peut être lié à l’autre, c’est à dire qu’à force d’entendre des sons tellement abstraits, retrouver des sons aussi simples que l’accordéon ou une voix, sont des choses qui nous bouleversent encore plus."

P.F. : Est ce qu’il ne s’agit pas là d’un besoin vital lié à nos racines ?

J.J.G. : "Je ne sais pas si l’on en a besoin mais en les redécouvrant, on se rend compte à quel point ils nous procurent des émotions. Une personne chante "A Capella" et réveille des sensations que l’on avait presque oubliées. Du fait d’aller en discothèque, de ne plus entendre de groupe en direct, d’écouter des synthétiseurs ou de la musique dans les ascenseurs. On est à un moment où l’on redécouvre toutes ces choses là, c’est sur. Savoir si cela est vital, je ne sais pas."

P.F. : Effectivement on redécouvre et on va plus loin, on associe, on mélange tous ces instruments, tous ces sons, sans aucun a priori.

J.J.G. : "Oui, je crois que l’on peut tout mélanger, le seul critère reste l’émotion que cela procure. Récemment j’étais en tournée avec le chanteur G. Arzel où l’on jouait avec une cornemuse. On ne peut rien imaginer de plus prenant. Et pourtant un instrument si simple. Une peau de bête, l’air et quelques tuyaux. Un gémissement comme un gémissement animal."

P.F. : Dans cette chanson à consonance slave on retrouve beaucoup d’instruments acoustiques. Des vrais, j’espère !

E.B. : JJ arrive quelques fois avec une chanson de ce type. Ce sont quelque part ses racines, lesquelles avaient déjà été montrées dans "Rouge". A l’écoute de la chanson, il était évident que pour que cela sonne vrai, il fallait adjoindre des vrais musiciens russes.

Le trio violon, Balalaïka, accordéon s’avérait indispensable. JJ a fait la partie de piano et ensuite on a cherché dans des cabarets et restaurants russes. Il nous fallait des gens ne sachant jouer que cela. Nous les avons trouvé et nous leur avons dit :  "Voilà, faites comme si vous étiez chez vous, entre vous, jouez !" Ils ont vu rapidement la mélodie et puis ils ont joué et improvisé. C’était super. Exactement ce que nous voulions.

C’est bien de prendre des musiciens uniquement pour le style où ils excellent. Pas de virtuose. Non. Des musiciens qui jouent et possèdent à fond une musique.

P.F. : Le public aime le son de ces instruments mais les connaît-il vraiment et sait-il même d’où ils viennent ?

E.B. : Ce n’est pas important. Celui qui écoute se dit : "tiens, cet air fait russe." Il sait que cela vient d’ailleurs. L’important c’est que cela serve la chanson, et qu’en l’écoutant, ils pensent au plaines de Sibérie. Qu’ils voyagent. C’est de l’exotisme, et cela colle au texte.


LES MURAILLES

JJG : "Erick a énormément apporté sur ce titre. Moi, j’avais juste l’idée de cette ambiance très moyennageuse. Trop peut être. Il l’a modernisé, l’a rendu plus évidente."

PF : Tout individu se sent concerné par la dernière phrase de la chanson : "moi j’avais cru si fort que ça durerait toujours" ?

JJG : "Je me souviens exactement quand l’idée de ce texte m’est venue. C’était lors de la "tournée des campagnes" et je jouais à Carcassonne où tout près, de toute façon je dormais là. Le soir, après le concert et le dîner j’aime marcher. Et là je me suis retrouvé sous les remparts. Je me suis dit qu’au même endroit il y a plusieurs siècles il y avait quelqu’un qui construisait, pierre après pierre avec le sentiment que ce qu’il était en train de construire durerait toujours, l’éternité !... Et aujourd’hui partout ces écriteaux "Ne pas toucher" car ces pierres s’effritent, tombent et finiront par disparaître.

Ensuite nous avons joué toujours dans le sud à Barjol. C’est une ville qui a été pendant des siècles, le plus important centre de tannerie. Une magnifique rivière avec tout le long des dizaines de tanneries. Et des gens qui venaient de partout. Les habitants étaient maîtres dans l’art du tannage et il y avait toujours un énorme besoin de ces cuirs. Et aujourd’hui, Barjol est un jolie petit village, avec des dizaines d’usines mortes le long de sa rivière. Je suis persuadé que ceux qui travaillaient là, qui eux même étaient fils et petit fils de tanneur se disaient que Barjol était et resterait le centre du Monde de la tannerie.

Voilà ces sentiments de "toujours" que l’on peut avoir a certains instants. Partant de là tu penses également aux gens du Nord. Là aussi tout le monde pensait que le travail du charbon ne s’arrêterait jamais, qu’il y en aurait pour toujours. Et bien non. Des régions entières sont abandonnées, sinistrées.

Et puis, comme c’est une chanson, tu termines en disant que même lorsque tu crois être avec quelqu’un pour toujours, on l’a tous vécu, c’est pas toujours pour "toujours". Et puis c’est sûr au moment où tu le dis, tu y crois dur comme fer. On dit alors tous une phrase (dont je ferai un jour une chanson) "Nous, c’est pas pareil" qui est la phrase la plus prétentieuse du monde. Mais si... Pour nous tous, c’est pareil. Et tu y crois très honnêtement. Des millions, des milliards d’hommes l’on dit, et la diront encore demain... Et c’est très bien d’y croire."

EB : Sur la maquette il y avait une ambiance médiévale encore plus poussée. Après réflexion on a gardé partiellement cette tendance avec le clavecin et le hautbois tout en rajoutant d’autres choses se raccrochant à l’illustration du texte avec une idée de modernisme pour qu’elle soit également plus actuelle.

PF : Par contre ce qui m’a surpris c’est le blanc entre les phrases : le silence brutal.

E.B. : On revient là à l’importance du silence en musique. C’est une ponctuation, la respiration de la phrase. C’est peut être choquant au début, mais je pense que cette découpe des phrases donne à chaque mot son poids.

Pour le côté anecdotique, il y a des radios qui nous ont appelé pour nous dire qu’il y avait des trous dans ce titre. D’autre aussi qui nous ont dit que le titre était en mono. Et oui, pour avoir un effet, j’ai mixé la fin du titre en mono. Non ce n’est pas un défaut, je vous rassure. C’est voulu.

PF : Ce n’est pas forcément la chanson grand public de l’album...

EB : Grand public, non. Par contre, je pense qu’en spectacle, elle pourrait être intéressante. Ce climat particulier se prête à la mise en scène...


ON IRA

JJG : "En fait, cette chanson a une histoire bizarre. J’avais fait pour l’album 11 ou 12 chansons. L’une des chansons rapides était un hommage au groupe STATUS QUO, avec reprise de beaucoup de leurs rythmes. (Je la ferai un jour). Elle parlait d’un type que j’ai rencontré dans un bar, vers 3 heures du matin, un jeune de quinze ans aide cuisinier à Montauban monté spécialement à Paris pour un concert de STATUS QUO. Je trouvais cela fou. Ce jeune qui n’était même pas né alors que le groupe était déjà connu, qui avait sans doute claqué sa paye pour venir au concert, et qui maintenant, là, attendait le premier train du matin pour rentrer chez lui. Finalement je me suis rendu compte que cette chanson n’avait absolument pas sa place rythmique dans cette album.

Il m’a donc manqué un titre rapide. A l’écoute des autres chansons je me suis fait le portrait robot de la chanson manquante. Il fallait qu’elle soit rapide, binaire, avec des guitares acoustiques. Un peu dans l’esprit "je te donne". J’ai travaillé sur cette idée. C’est presque une chanson de commande, la pièce qui manquait pour finir mon puzzle. Et bizarrement c’est une des chansons qui plaît le plus."

PF : Ca c’est pour la musique, mais les paroles, les avais tu déjà quelque part, dans un coin de ta tête, sur un papier ?

JJG : "Non, j’avais des phrases isolées comme "tous ces gens qu’on voit vivre comme s’ils ignoraient qu’un jour il faudra mourir". Juste quelques phrases mais dans ce cas-là, c’est vraiment la musique qui induit un type de texte de route. C’est une musique qui parle des routes.

PF : Prendre ou "faire" la route, c’est aller ailleurs vers quelqu’un ou quelque chose, c’est vivre des choses seul ou avec d’autres.

JJG : "Dans la vie, au départ, on veut obtenir des choses : avoir un diplôme, désirer une personne, un métier, une maison, etc. Ensuite, lorsque l’on a pris un peu d’âge, on se rend compte que le plus intéressant ce n’est pas ce que l’on obtient, c’est la route pour y arriver. Très souvent. C’est l’apologie des routes disant que c’est le chemin qui mène à l’endroit dont je rêvais, qui est important. C’est la route elle même qui est intéressante. C’est bon d’atteindre son but mais les souvenirs que l’on garde sont ceux que l’on a vécus pour y arriver. L’intérêt d’une vie, ce sont ces routes... Pas les réussites."

EB : Pas de doute pour cette chanson, c’est le type même de la Road Song. Il n’y a eu aucune ambiguïté sur ma manière de la traiter : autoroute - highway. Genre Beach Boys. C’est une école qui nous est familière. On a fait 6 pistes de guitares acoustiques, 6 cordes et 12 cordes : un mur de guitares. Il n’a pas fallu plus d’une journée pour tout mettre au point : basse, guitare, batterie, et un léger choeur vers la fin du titre. C’est le seul morceau où l’on a une véritable batterie. Bien faire sonner le saxophone nous a posé quelques difficultés du fait qu’il joue dans le registre suraigu.

C’est le type de chanson que l’on écoute le matin et qui vous donne immédiatement la pêche. Facture classique mais elle a vraiment sa place dans l’album.


EN PASSANT

P.F : En écoutant cette chanson, tout de suite, une nostalgie nous étreint, on sait que quelque chose se termine, l’heure est venue de se quitter, on referme un album.

E.B. : C’est une magnifique chanson sur le temps qui passe. Très Goldman, on y retrouve l’ambiance de "puisque tu pars". On comprend immédiatement que cette chanson est la dernière, qu’elle annonce la fin de l’album. Et je pense que c’est sur cette chanson que se clôturera le concert. Ici encore, toujours une voix enregistrée très tôt le matin, une voix très proche, très désabusée. Il s’agit là d’une chanson de maturité qui se réfère à un vécu. Elle nous a procuré beaucoup de plaisir.

Une construction que l’on a voulu fragile au début, douce, avec une guitare que rentre doucement et qui part dans un immense solo. Ce solo n’est pas une improvisation. D’ailleurs, ici, JJ l’a entièrement écrit. Il l’avait dans la tête depuis longtemps, et il en a vraiment écrit chaque note. Des progressions qui se rajoutent par couches successives avec un grand souci d’équilibre en laissant toujours une place à cette guitare.

Pour cette chanson aussi, nous voulions préserver ce côté intimiste ; Pour éviter toutes explosion, il fallait contenir, rentrer les différents éléments. Réussir une progression sur la longueur, sans jamais casser cette douceur, cette mélancolie. Tout en maintenant le rythme jusqu'à la fin. On aurait pu changer le son pour le grossir. Mais on y a renoncé car on voulait garder ce côté hypnotique et ne se servir des nappes que pour la progression sonore.

P.F. : Erick, au terme de tout ce travail avec JJ, maintenant à la sortie de cet album, quel est ton sentiment ?

E.B. : Pour moi le plaisir de cet album doublé d’un défi, consistait à entrer dans le projet de JJ, sans polluer son climat intimiste, sans le dénaturer, en y mettant une touche discrète, très personnelle. Je suis très content d’avoir pu atteindre cette osmose.

L’album a été conçu pour être réalisé par une équipe réduite, dans une plus grande proximité. Je dirai que ce fut une très belle aventure de complicité.

P.F. : La dernière chanson de l’album, déjà, et pas la moindre puisqu’elle donne son nom à l’album. Ta préférée, peut être ?

JJG : "J’en ai d’abord fait la musique, longtemps je me suis demandé si je la donnais à Céline DION ou bien si je me la gardais. Finalement (grand sourire) je me la suis gardée.

Je me souviens de nuits entières à jouer sur cette suite d’accords. Et, tout doucement, le texte est arrivé. Elle s’est d’abord appelé "une place pour toi". Deux ou trois fois j’ai changé le texte et finalement quand j’ai trouvé "En passant", j’ai su que ce serait le titre de l’album. Mais très longtemps, je suis resté uniquement avec la musique, et il est vrai que j’ai eu beaucoup, mais alors beaucoup de mal à mettre un texte sur cette musique."

PF : "En passant", l’expression est courante mais j’aimerai connaître le sens que tu lui donnes ici.

JJG : "Il y en a deux : D’abord celui d’un passant ; nous sommes tous des passants ; et, en passant, en "faisant notre temps". Quelqu’un prend congé de sa jeunesse, c’est un constat qu’il fait sans tristesse "Tout ce qu’on ne sera jamais, déjà". Mais réaliste et mélancolique. En passant dans cette vie, visiteurs d’un monde qui continuera après nous et que nous avons la chance de traverser. Ce qui est précieux, dans une chanson ou dans toute autre création, c’est lorsque tu te parles à haute voix et qu’il y a d’autre personne qui te disent ressentir la même chose. Peut être que l’art sert à ça."

PF : Lorsque ton propos trouve un écho ?

JJG : "Oui, c’est vraiment intense, ce sentiment de pouvoir traduire ce que certains ressentent sans pouvoir forcément le dire. C’est un immense plaisir."

PF : La chanson fait partie de ta vie. Comment la ressens-tu ? Chanson d’un moment ? Chanson d’une époque ? Ou chanson de toujours ?

JJG : "Pour moi la chanson est l’art de l’instantané, du moment et pour cela elle est irremplaçable... Comme un parfum. Pour vraiment connaître une époque et tout ce qui s’y rattache, il faut écouter ces chansons. C’est peut être un art éphémère qui ne révèle sa pleine valeur qu’à un moment donné. De toutes façon, la pérennité dans l’art en général est très discutable.

La chanson se démode peut être beaucoup plus que le reste mais, par contre c’est une photo de l’époque vraiment unique... Elle est complètement liée au contexte, contrairement, par exemple à la littérature ou à la peinture qui peuvent s’apprécier en dehors de tout contexte... Et encore."

PF : JJ, juste avant que tu repartes jouer tes chansons, puisqu’elles sont faites pour cela, une conclusion sur ta dernière création.

JJG : "J’entends dire que c’est un album assez triste et intimiste. Moi je dis que c’est l’album que je devais faire. Je n’ai pas le choix, de la même manière que je ne l’ai pas eu pour "Rouge", pour "Frédéricks-Goldman-Jones", pour "Entre gris clair et gris foncé". Entre deux albums, il se passe deux ou trois ans pendant lesquels je vis, je rencontre des gens. Et lorsque j’écris mes chanson, tout naturellement, celles-ci reprennent les thèmes qui m’ont le plus touché.

Avec un peu de recul, je me dis que c’est un album que je n’aurais pas pu faire avant aujourd’hui, dans le sens où beaucoup de texte portent l’empreinte de l'âge, sujet qui m’intéresse actuellement... Comme tous les hommes qui mettent le cap sur la cinquantaine ! (rires) ! N’est ce pas mon cher Paul ?"

Propos recueillis par Paul FERRETTE

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