Interview de J.J.Goldman
par Anthony Martin
(RTL - 20 novembre 2001)
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Retranscription : Stéphane
Dumond
Extrait musical : Sandrine Mazière (Pimprenelle)
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Anthony Martin : Cet album est présenté comme un objet et un ensemble de chansons faites pour danser, pour mettre de l'ambiance, pour rapprocher les gens et faire qu'ils sortent un peu de leur morosité. Vous trouvez que la chanson -et la chanson française en particulier- est stérile et ne fait plus d¹effet ? Il manque de chaleur aujourd¹hui dans le monde musical ? JJG : Non non, je ne trouve pas ; au contraire, il y a de plus en plus de musiques de danse et tout ça. Il se trouve que celui-là il s'adresse plus aux pieds qu'à la tête. Mais cela n'a pas de rapport avec le contexte. Anthony Martin : Ca vous est venu comment de faire un album présenté avec des compartiments, des styles musicaux différents à chaque chanson, qui font effectivement de l'effet, parce qu'on se prend à bouger, forcément ? JJG : Finalement ça vient peut-être des voyages. Dès qu'on arrive aux Antilles, dès qu'on arrive en Afrique, dans un petit bar, ou à Madagascar, tout à coup, le musicien arrive et il a un autre statut. Il a un statut utilitaire, qui me semble beaucoup plus important que le statut que l'on donne au musicien chez nous. L'équivalent, chez nous, ce sont les musiciens de bal. Lorsqu'ils arrivent, tout à coup, ils modifient l'ambiance, ils modifient les relations entre les gens, et ça, je trouve ça magnifique. Anthony Martin : Vous êtes un adepte des bals populaires ? JJG : Non pas trop, mais j'en ai fait beaucoup, quand j'étais adolescent. C¹est là où j¹ai appris, en jouant la musique des autres. J'ai fait beaucoup de bals, mais pas trop comme danseur (rires). |
Anthony Martin : Plutôt pour l¹ambiance et ce rapport tactile à la musique. Les gens viennent là pour danser et ça marche à chaque fois. JJG : Voilà, tout à coup, ils changent. Ils ne se parlent pas, ils vont au boulot, ils sont dans le bus et puis, parce qu'un musicien vient, tout à coup, ils se regardent et ils vont danser, se serrer l'un l'autre, sentir leur peau, leurs odeurs, ils vont se parler, se sourire, essayer de se séduire. S'il y a pas la musique, y a pas ça. Anthony Martin : Vous êtes toujours fasciné par le pouvoir de la musique, ce qu'elle peut faire, ce qu'elle peut provoquer ? JJG : Moi, oui, je trouve ça super. Je suis encore fasciné aussi quand on voit un orchestre de cordes arriver, avec 20 personnes habillées comme n'importe quelles personnes dans la rue. Puis elles ouvrent leur petite mallette, dans laquelle se trouve un morceau de bois. Sur le bois des cordes en métal sont tendues. Puis elles prennent un autre morceau de bois avec du crin dessus. Elles frottent l'un contre l'autre et tout à coup on entend Mozart ou Vivaldi. Je trouve cela absolument fascinant. Anthony Martin : J'imagine que vous baignez dans une atmosphère musical, qu'il ne se passe pas une journée sans que vous jouiez de quelque chose. La musique vous fait-elle toujours de l'effet ? N'êtes-vous pas comme sevré au point de ne plus rien entendre et de ne plus être réceptif ? JJG : J'ai toujours baigné dans la musique depuis le début, mais c'est vrai que depuis quelques années j'y suis un peu moins réceptif. J'écoute moins et je lis plus. Je ne parviens pas à faire les deux en même temps. Je sais que certaines personnes lisent en écoutant de la musique mais moi, la musique me happe tellement qu'il me faut le silence. Je passe de l'un à l'autre et je suis plus dans la lecture pour l'instant que dans la musique, c'est vrai. Anthony Martin : Pourquoi avoir choisi de faire un album qui est presque un album concept ? Chaque chanson a son style. A Lyon chez moi on dit "qu'à chaque chanson faut y mettre son canon" (rire de JJ). C'est presque ça dans cet album où chaque chanson a son identité, ses couleurs ? Vous trouvez que les albums sont faits de chansons que se ressemblent toutes et cela vous ennuie, c¹est pour ça ? JJG : En ce qui me concerne, je n'ai jamais fait ça. J'ai toujours fait des chansons, enfin des albums de variété, on va dire. Je passais de "Quand la musique est bonne", avec des gros rifs de guitare saturée à "Comme toi" où y avait un violon tzigane, ou aux Choeurs de l'Armée rouge, ou à "A nos actes manqués" qui était plutôt zouk, ou à des ballades plutôt folk. J'ai toujours aimé passer d'un style à l'autre, du blues au gospel aussi. Mais là, il me semblait que le fait de marquer au bout de chaque chanson à quelle danse elle correspondait c'était rendre hommage justement à ces musiciens de bal. |
Anthony Martin : Vous vous êtes fait aussi un petit plaisir personnel ? Le fait d'avoir à chaque fois une couleur différente lorsque vous enregistriez, avec des ambiances différentes pour la chanson folk ou le technoriental, c'était aussi pour renouveler le genre ? JJG : Pour me faire des plaisirs personnels oui. Je ne fais que ça quand je fais des disques. Il est très difficile de donner du plaisir aux autres si l'on n'en prend pas soi-même. Cela m'a permis d¹aller à Lorient enregistrer des cornemuses avec un vrai bagad, et puis de voir mes copains en même temps. Ca m'a permis d'aller à Ales enregistrer plus de 500 choristes dans le théâtre. Ca m'a permis de rencontrer un type qui a 30 ans et qui joue de la vièle traditionnelle et qui est devenu un spécialiste de la vièle traditionnelle... C'est un album de musiciens. Y en a plein que je connaissais mais j'ai pu en découvrir d'autres, c'est un vrai plaisir. Anthony Martin : C'est un album de rencontres aussi ? Vous fonctionnez comme ça ? Il faut, pour aller chercher la nourriture pour les périodes d'hibernation, que vous vous déplaciez, que vous rencontriez des gens ? Comment fonctionnez-vous ? JJG : Je trouve que sur le plan musical, on s'enrichit beaucoup au contact des musiciens. Je leur donne des directives de base, assez précises, mais je les laisse ensuite aller dans leur direction. Lorsque j'envoie une maquette par exemple à Yvan Cassart qui arrange les cordes, elle est très simple et je lui dis d'aller là où il le souhaite. Après, je prends ou je ne prends pas. Ces rencontres là et tout ce que les gens peuvent apporter, c'est vraiment super intéressant et super jouissif. Anthony Martin : Cet album est je pense fait pour la scène. En tout cas, quand on l'écoute, on a tout de suite des images et on vous voit sur scène devant une foule en délire qui alterne entre la techno, la tarentelle et tout ça. C¹est vraiment une idée que vous avez eu ? Peut-être chaque album est-il fait pour la scène, mais celui là vraiment en particulier ? JJG : Plus on fait de la scène et plus cela intervient, plus ou moins consciemment, sur la façon de composer. Il est difficile de ne pas imaginer ce qu'une chanson va donner sur scène, si elle est faite pour la scène ou pas. On reçoit des choses tellement excitantes sur scène que on se donne des munitions pour après en composant. Je crois que ça intervient beaucoup. Anthony Martin : On va parler un peu des paroles de cet album. J'ai l'impression que là aussi vous vous êtes fait plaisir. Vous avez trempé votre plume dans l'acide. JJG : Je me fais toujours plaisir. Anthony Martin : Oui mais cette fois, il y a quelque chose peut-être d'un peu plus franc. C'est parce que vous vous sentez plus que jamais libre, c'est ça ? JJG : Non, je crois que je me suis toujours lâché, pas spécialement sur cet album là. Anthony Martin : Je pense notamment à la chanson étiquetée disco dont je n'ai pas retenu le titre, car nous avons écouté l¹album hier. JJG : "C'est pas vrai". Anthony Martin : Voilà, "C'est pas vrai". Je crois qu'il y a tout dans cette chanson. C'est vrai c'est exhaustif ! Tous vos coups de gueule, tous vos énervements, tout y passe. JJG : Non, tous les lieux communs qui m'énervent. Tous les lieux communs, tout ce qu'on dit, toutes les phrases à la con quoi. Cela va des choses les plus anecdotiques comme "ah t'as pas changé" ou alors "tu verras, ça fera pas mal", ou alors "c'est à deux pas, y en a pour 5 minutes", et puis aussi des choses du genre "tous les politiciens sont corrompus", ce qui est faux. Ce n'est pas vrai. Je déteste cette phrase là. Ou alors "y a de plus en plus de racisme" aussi, ce qui est faux. Voilà. Cette chanson est un sac en plastique dans lequel j'ai mis toutes ces choses qui m'agacent. Anthony Martin : La chanson ça sert aussi à ça quand on en fait beaucoup comme vous, quand on compose beaucoup ? On trouve toujours l'utilité d'une chanson ? JJG : Je trouve que l'utilité d¹une chanson c'est de plaire. Je me répète peut-être mais je donne souvent l'exemple des chansons que nous écoutions nous, qui étaient des chansons anglaises ou américaines, qui nous arrivaient sans qu'on en comprenne les textes. On les prenait uniquement sensuellement. Elles nous plaisaient, ça passait que par les pieds ou par l'épiderme mais pas du tout par le cerveau. Après on traduisait et on se disait "tiens, dans Bob Dylan, il y a deux ou trois trucs qui ne sont pas mal". La première fonction et la fonction la plus magique et la plus digne, la plus particulière de la chanson, ce qui la différencie d¹un article de journal ou d¹un livre, c'est ça. C'est cet aspect-là. Mais ce n'est pas du tout incompatible avec le fait d¹y mettre des choses. |
Anthony Martin : Vous vous sentez obligés de mettre des choses dans chaque chanson ? JJG : Pas obligé, mais je sens que cela répond à une demande des gens. C'est-à-dire que si je fais une chanson bidon, ils sont déçus. Enfin ceux qui m'écoutent. Anthony Martin : Il y a une chanson en toute fin d'album qui est ce que l'on appelle "une chanson cachée", il faut laisser passer la dernière chanson et attendre un peu. Cette chanson n'a pas de paroles, juste deux ou trois phrases qui sont faites d'onomatopées. Il n'y a pas de message universel. Pourquoi avoir fait cette chanson ? JJG : C'était un peu mignon, un peu marrant une chanson inachevée. J'ai essayé de mettre des paroles sur cette chanson. C'est une chanson qui s'appelle "la vie c'est mieux quand on est amoureux". Ca c'est le thème. Après, j'ai essayé de dire "parce que ça", "parce que ça" ou "parce que ça". J'ai commencé à écrire et je me suis rendu compte que cela ne servait à rien. Une fois qu'on a dit "la vie c¹est mieux quand on est amoureux", on a tout dit. Enfin tout ce que veut dire la chanson. Voilà, donc le reste du temps, j'ai fait "nanana nanana, nanana nanana" (rires) juste comme ça, et puis avec le refrain qui disait cette phrase. Anthony Martin : Ce n'est pas un lieu commun de dire que "la vie c'est mieux quand on est amoureux" ? JJG : Peut-être, peut-être. C'est comme quand on dit "tant qu'on a la santé". Ca paraît tout con, mais le jour où on le vit soi-même, on se rend compte que c'est vrai quoi. Anthony Martin : Les politiciens corrompus, vous ne l'avez donc pas vécu vous-même ? JJG : Les politiciens ne sont pas corrompus. Enfin pas tous. Anthony Martin : C'est vrai que "la vie c¹est mieux quand on est amoureux" ? JJG : Moi je trouve. La vie, elle est bien, mais dès qu'on est amoureux, tout a un peu plus de couleur. Tout est un petit peu différent. Ce n'est pas valable pour moi spécialement. C'est valable pour tout le monde. On se rend compte que dans nos existences, tout à coup, les couleurs sont un tout petit peu différentes. Anthony Martin : Je voulais vous demander quelque chose. Travaillant sur RTL, je suis spécialisé dans la musique et je reçois tous les albums qui sortent. En gros, vous êtes dans le livret d'un album sur cinq de chansons de variété française, soit sous le nom de Sam Brewski, soit votre frère est là... On sent bien votre patte. On sent qu'il y a quelque chose. Vous êtes omniprésent. Comment cela se manifeste-t-il concrètement ? Vous passez votre vie entière à composer, à rencontrer les chanteurs, à travailler avec eux ? JJG : Non, mais déjà, il faut vraiment différencier mon frère et moi. Mon frère fait de la musique depuis très longtemps, et il se trouve que tout à coup ça commence à marcher pour lui. Evidemment ça multiplie les choses, mais ce n'est pas moi ! Je ne suis même pas au courant de ce qu'il fait. Anthony Martin : Vous savez que vous avez les mêmes mélodies et la même façon de faire de la musique en tout cas. JJG : On a écouté les mêmes musiques, lui m'a beaucoup écouté, on a travaillé ensemble, on a fait des choses ensemble, on aime le même genre de musique. On n'est pas les seuls à faire ce même genre de musique, il y en a d'autres aussi. Au début mon frère ne faisait pas de textes, maintenant il fait des textes. En ce qui me concerne, je crois que l'année dernière, j'ai fait un texte pour De Palmas et puis c'est tout. Je fais de moins en moins de choses. Anthony Martin : Il y a eu Patricia Kaas, Isabelle Boulay... JJG : Isabelle Boulay ? J'ai rien fait pour Isabelle Boulay. J'ai fait une chanson pour Noah aussi pour son album, chanson que l'on n'a pas entendue. J'ai travaillé surtout sur mon album. Je suis loin d¹être omniprésent. Anthony Martin : La patte Goldman est omniprésente. C'est ça qui vous fait chaud au coeur, de voir que sans que vous vous mêliez de quoi que ce soit, on retrouve votre son, votre façon de faire, vos accords, votre façon d'écrire et de chanter ? JJG : Je me suis moi-même tellement inspiré de Michel Berger, je l'ai tellement écouté. J'ai tellement écouté Elton John ou les bluesmen... Lorsque vous avez du succès, les gens essayent de vous copier et le jour où vous n'avez plus de succès, on ne vous copie plus. Je suppose qu'après Trenet, il y a eu des milliers de petits Trenet qui sont arrivés. |
Anthony Martin : Avant votre arrivée, je discutais avec le chef de produit ici qui disait que lorsqu'un album de Goldman arrive, personne ne se fait plus de souci, on sait que ça va se vendre. Comment le vivez-vous ? JJG : Avec beaucoup de confort, c'est sur que c'est différent des premiers albums pour lesquels on se demande si on va toucher les gens, car on ne les connaît pas. Chaque disque vendu est une surprise et une émotion, car on se dit que quelqu'un a été touché par ça. Au bout de 20 ans, évidemment, on s'habitue davantage et la connexion est plus directe. C'est un peu comme quand on rencontre quelqu'un de sa famille. On essaie juste de ne pas se décevoir, d'être le plus sérieux possible. Mais c'est vrai qu'il n'y a pas cet enjeu. Anthony Martin : Comment cette confiance, cette longueur d'avance, se manifeste-t-elle concrètement ? Vous êtes moins angoissé, vous avez plus de liberté, vous pouvez vraiment faire ce que vous voulez ? Vous pouvez rendre à la maison de disque le travail que vous voulez ? JJG : Oui mais ça a presque toujours été le cas. Au début, on croyait pas beaucoup en moi dans les maisons de disques, donc on ne me demandait rien. Et puis ça a commencé à marcher assez vite puisque dans le premier album il y avait "Il suffira d¹un signe". Dans le deuxième figurait "Quand la musique est bonne" etc. A partir du moment où vous avez du succès, les maisons de disques vous laissent vraiment tranquille et vous font confiance. Anthony Martin : J'aimerais revenir à votre travail de musicien. Est-il vrai que vous travaillez en pantoufles au studio ? JJG : C'est-à-dire qu'aujourd¹hui, les studios sont chez soi. Le volume du matériel a diminué et l'on n'est plus obligé d'aller en studio pour beaucoup de choses, pour les voix, les guitares, etc. Chez moi, je suis en pantoufles et en studio, je suis en chaussures (rires). Anthony Martin : Vous composez souvent à domicile. Grâce au home studio, vous travaillez chez vous la plupart du temps ? JJG : Toujours. Les compositions se font à son piano, avec sa guitare. Elles se font chez soi. Ou alors en vacances. Elles ne se font en tout cas pas en studio. Anthony Martin : De quoi avez-vous besoin concrètement pour composer ? Vous travaillez de manière très scolaire avec un cahier et un stylo ou bien ça vient n¹importe quand, comme ça, par jet, pouf ? JJG : Ca arrive n'importe quand mais après j'ai besoin d'un petit cahier et d'un stylo et là le travail commence. Le travail dure longtemps, il dure un an. Il se fait autour de la matière première qui est venue n'importe quand. Anthony Martin : Etes-vous laborieux dans l'écriture et la composition ? Qu'est-ce qui est le plus facile chez vous ? JJG : Je suis très laborieux. Le plus facile ce sont les idées qui viennent et que je note. Mais à partir de ce moment-là, il y a vraiment du travail. Anthony Martin : Ce qui vous pose le plus de problème, c'est de trouver le mot juste, c'est le souci de la rigueur. JJG : Non, maintenant, ce qui me pose le plus de problèmes ce sont les musiques parce qu'on tourne en rond. J'ai fait près de 200 chansons, j'ai pas une suite d¹accords très jazz et très différents, en plus je n'aime pas tellement ça. Donc je retombe toujours un peu sur les mêmes mélodies. Mais c'est le cas de tout le monde. Anthony Martin : Ca vous ennuie ? JJG : Oui ça m'ennuie parce que j'aimerais trouver des choses un peu plus nouvelles. Anthony Martin : Qu'est-ce qui faudrait pour cela ? JJG : Rien, je crois qu'il faut mourir, c¹est tout. Mais tout le monde est dans ce cas. Si vous écoutez Brassens à ses débuts et Brassens à la fin, si vous écoutez mes collègues, au bout de 10 albums ou même le dernier Dylan ou le dernier MacCartney : on sait que c'est du Dylan et du MacCartney. Idem pour Michael Jackson. Si des gens aussi talentueux finissent par refaire ce qu'ils ont fait, c'est qu'on ne peut pas vraiment échapper à ça. Anthony Martin : Vous écoutez beaucoup les disques des autres ? JJG : Pas beaucoup non. J'écoute pas beaucoup de musique. Anthony Martin : C'est peut-être pour cela que dans l'approche de cet album vous vous êtes imposé de faire un style une chanson, une chanson une couleur. Vous avez cherché à casser cette logique qui vous fait faire toujours un peu la même chose ? JJG : Non non, car toute ces choses qui figurent sur l'album, je les ai déjà faites. Que ce soit un rock, un rythm and blues, un slow, un zouk... ce sont des choses qui ne sont pas très nouvelles. |
Anthony Martin : Les copains dans le métier. On sait, et c'est tout à votre honneur, très peu de chose sur vous. Vous avez des potes qui sont chanteurs ? Vous les voyez souvent ? On imagine des réunions Cabrel, Souchon, Goldman, Le Forestier, ou d'autres, tous ensemble. Ca se passe comme ça ? JJG : Non. On ne se voit pas si souvent que ça. On est tous un peu solitaire. Mais par contre, on peut parler d'une vraie fraternité. Quand on se revoit, quand on se croise ou quand on a un souci et qu'on s'appelle, on est toujours présent les uns par rapport aux autres. C'est vraiment une génération très sympa. Je suis super content d'avoir été chanteur en même temps que cette génération là. Anthony Martin : Qu'est-ce qui vous rapproche ? Le fait que vous soyez tous au top, au même niveau, ou une vraie complicité dans l'approche et dans la conception de la musique, dans la façon de dire, de chanter, d'aborder ce métier ? JJG : Je dirais que nous avons des valeurs communes par rapport à ce métier. Nous avons une estime qui ne dépend ni du succès ni de la notoriété mais de ce que l'autre fait. Je sais que Francis peut très bien détester des albums que j'ai faits et aimer bien un texte. On peut être archi-fan de Philippe Lafontaine par exemple qu'il ait du succès ou qu'il n'en ait pas. Je crois que c'est l'absence d'ego pour ce qui nous concerne, ce qui est assez rare, et surtout la fascination pour les mêmes choses, pour les vrais musiciens. On est des petits garçons -là on a fait un concert de blues avec Francis- quand il y a Basile qui prend un solo de guitare nous on est des petits garçons devant les musiciens. Anthony Martin : On a du mal à croire à votre absence d'ego quand on sait que vous êtes le chanteur numéro un en France. Il faut un égo surdimensionné pour y arriver. JJG : Non, il faut faire de bonnes chansons, enfin, des chansons qui plaisent. Anthony Martin : Il faut tout de même un moteur. D'où vient ce moteur ? JJG : C'est le plaisir de faire des chansons. Anthony Martin : Uniquement ? JJG : Oui oui, je le jure ! Et c'est la même chose pour les autres, que ce soit Souchon, Voulzy ou Francis. On apprécie tous à mort la notoriété, le fric, mais on n'est pas partis en Suisse non plus pour pas payer d'impôts tu vois ! On s'en fout. On n'est pas footballeur. C'est pas du tout l'essentiel. On apprécie ça, mais au-dessus de tout, il y a ce respect et cet amour des chansons, de la musique et des mots, vraiment. Anthony Martin : Quelle est la chanson que vous n'avez pas composée et que vous vénérez et qui ne fait pas partie de votre répertoire ? JJG : Il y en a plein... On pense évidemment à des chansons comme "Avec le temps" ou "l'Auvergnat". Mais je pense aussi à une chanson comme "Plus près des étoiles" de Gold, que j'aurais pu faire, que je trouve parfaite et que j'adore. "Je te suivrai" de Cabrel. Toutes les chansons de Voulzy ou de Souchon. Anthony Martin : "Mourir pour des idées" de Brassens ? JJG : Non, pas celle-là ! (rires) Anthony Martin : Je croyais savoir... Vous avez l'impression de détenir la recette de la bonne chanson, du tube, d'avoir compris quels ingrédients il fallait mettre pour que ça marche à coup sûr ? JJG : Non. Et je trouve que je n'ai pas fait de "tube" depuis longtemps, des trucs comme "Aïcha", "Je te donne", "Pour que tu m'aimes encore" ou comme "A ma place" de Bauer et Zazie. Des trucs qui tout à coup prennent leur envol sans qu'on sache où ça va. J'ai fait des succès récemment, mais pas de tube. |
Anthony Martin : Vous faites quand même généralement mouche à chaque fois. JJG : Oui mais un tube c'est autre chose. Un tube, c'est une chanson qui tout à coup décolle. Je ne parle pas des succès. Les succès, tout le monde peut en faire. Mais une chanson qui tout à coup te dépasse, comme "Belle", qui passe partout jusque dans les ascenseurs, qu'on entend tout le temps, qui devient presque un phénomène, ça fait longtemps que je n'en ai pas fait. Anthony Martin : Mais vous en avez fait. Est-ce que cela vous fascine ? JJG : Oui, j'adore ça. Anthony Martin : Vous cherchez à atteindre cet effet-là à chaque fois que vous composez ? Vous ne pouvez pas libérer une chanson et la mettre sur un album tant qu'elle ne possède pas ce petit plus magique ? JJG : Pour mes albums non. Mes albums sont une conversation avec des gens qui me sont fidèles. Certains ne m'aiment pas et ne m'aimeront jamais. D'autres me suivent et l'album est une conversation avec eux. J'écris ce qui me plait, mais j'ai l'impression de reprendre la discussion là où l'avait laissée l'album précédent. En revanche, lorsque j'écris pour les autres, je ne vise que la chanson qui va sortir des transistors, des télés et qui va aller dans la rue. Anthony Martin : Mais justement, à chaque fois que vous composez pour les autres, vous faites des chansons qui marchent, qui sont des gros tubes, même s'ils ne passent pas tous dans les ascenseurs. Dans ces phases de composition, savez-vous ce qu'il faut mettre dans une chanson pour qu'elle marche ? JJG : Non. Je ne sais pas. Et je me trompe souvent. Je sais comment faire une "bonne chanson", mais personne ne sait faire une "Foule sentimentale" ou une chanson qui va marquer une année. Anthony Martin : Que faut-il pour qu'une chanson soit une "bonne" chanson ? JJG : Il faut être dans l'air du temps mais pas trop, il faut le texte qui va toucher comme "La vie par procuration", "Foule sentimentale" ou comme "La corrida". On sait quand on a trouvé un thème de chanson qui est fort, une façon de voir les choses qui est différente. Au niveau musical, c'est avant tout une magie d'arrangement qui n'est jamais prévisible. Des fois, "ça le fait" et des fois, "ça ne le fait pas". Il suffit d'un son qui va tout modifier. A ce niveau là, personne ne contrôle rien. Anthony Martin : Vous parliez tout à l'heure de Michel Berger, qui adorait aussi composer pour les autres, notamment pour les femmes. Est-ce que, comme lui, vous vous projetez dans celle pour laquelle vous composez ou vous écrivez lorsque vous écrivez pour Patricia Kaas ou pour d'autres ? JJG : Qu'entendez-vous par se projeter ? Est-ce que je me mets à sa place ? Anthony Martin : Se mettre à la place est aussi l'une des facettes du métier lorsqu'on écrit pour les autres. C'est comme ça que vous l'abordez ? JJG : Tout à fait. Si j'ai fait "Une fille de l'Est", "Il me dit que je suis belle" ou "Je voudrais la connaître" pour Patricia parce que c'était elle, parce qu'elle est crédible dans ce qu'elle dit. Il est important que l'autre soit crédible dans ce qu'il raconte. Je ne vais pas faire à Patricia Kaas une chanson qui parle de la politique au Sénégal ou du mondialisme. Il faut que la personne soit crédible. C'est ce qui est super intéressant dans cet exercice. Quand je fais des chansons pour Céline ou pour Johnny, il faut qu'elles leurs ressemblent et qu'ils soient crédibles en les chantant. Il était souhaitable que "l'Envie" soit chantée par Johnny. |
Anthony Martin : Quels rapports avez-vous avec vos interprètes ? JJG : D'abord des rapports respectueux sur le plan vocal et ensuite des rapports respectueux sur le plan humain. Je ne pourrais pas travailler avec des gens qui me gonflent ou qui ne me respectent pas. Anthony Martin : Lorsque vous travaillez avec vos interprètes, vous êtes le chef ? Vous attendez de l'artiste qu'il prenne la chanson dans laquelle vous avez mis tellement de coeur à bras le corps pour l'emmener vers les sommets ? JJG : Je connais la chanson et je sais quel effet elle doit me faire. Je suis ouvert à tout ce qu'ils peuvent proposer mais si ça ne me plait pas, je leur dis non. Mais ils sont à l'écoute car ils sont habitués à travailler avec des auteurs compositeurs. Comme des acteurs, ils se plient aux désirs du metteur en scène en proposant des choses. Je suis totalement ouvert à tout ce qu'ils peuvent m'apporter. Quand Céline Dion ou Carole Fredericks commencent à improviser, je suis preneur ! Anthony Martin : Vous arrive-t-il de faire des chansons que vous jetez après les avoir terminées ? JJG : Oui mais elles restent inabouties, inachevées ou incomplètes. Et puis j'attends. Il est rare qu'elles ne ressortent pas un jour un peu modifiée, plus abouties ou mûries. Anthony Martin : Comment vous le vivez ? Est-ce une grosse déception ? JJG : La déception vient quand on finit une chanson à laquelle on croit beaucoup et qu'on constate que, finalement, elle n'est pas à la hauteur de ses attentes. Mais l'inverse se produit parfois, avec une chanson que l'on a fait comme ça et qui se révèle supérieure à ce que l'on croyait. Anthony Martin : Etes-vous dépassé parfois par le pouvoir d¹une chanson ? Vous semblez y attacher tellement d¹importance. Est-ce que la magie d'une chanson, même si elle vient de vous, peut vous dépasser complètement ? JJG : Oui bien sûr. C'est ce que je vous disais, personne ne peut contrôler un tube. Je n'aime pas ce mot qui est un peu péjoratif mais, vous comprenez ce que je veux dire ? Il s'agit d'une chanson qui passe tout à coup dans la rue, qui est chantée. Ce sont les gens qui se l'approprient et qui en font ce qu'elle est. Et c'est super de voir ça. Anthony Martin : Avant que la chanson soit disponible, soit offerte au public, lorsque vous réécoutez votre travail en studio, vous arrive-t-il de pleurer ou d'éclater de rire, d'être ravi du pouvoir de la chanson, d'écouter et de devenir tout à coup auditeur de votre boulot et de dire "waouu" ? JJG : Ca m'est arrivé quelques fois. Anthony Martin : Sur quelles chansons ? JJG : "Quand la musique est
bonne", j'étais sûr... "Je te donne", j'étais sûr... C'était
surtout à
cette époque là. J'ai été également particulièrement satisfait en
écoutant "l'Envie", même si je savais qu¹elle était trop bizarre pour
pouvoir passer en radio mais j'étais super content de ce que j'entendais. A contrario,
des chansons que j'ai pas du tout senties c'est par exemple "Pour que tu
m'aimes encore", qui était pour moi une chanson
mineure de l'album. |