(Europe 1 - 08.12.2001)

Présentée par Isabelle Morizet


(Retranscription : Vincent Messenet)

 

 

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Isabelle Morizet : Bonjour à tous. Je vous convie cet après-midi à un rendez-vous assez exceptionnel car la plus secrète des stars a accepté de se livrer aujourd'hui dans cette émission. Jean-Jacques Goldman, si réservé et si pudique, va se raconter à ce micro et faire le point sur son étonnante trajectoire ; Replongeant dans ses souvenirs d'enfance, parlant de ses premiers émois musicaux, puis de l'ascension qui a fait de lui, sans aucune compromission, un abonné aux disques de diamant. Goldman est un sage, Goldman se raconte aujourd'hui avec une sincérité infinie. Je l'accueille dans quelques instants. A tout de suite.

Isabelle Morizet : Voilà l'homme dont la popularité est parvenue à un niveau tel, que l'époque finit toujours par ressembler à ses chansons. Pourtant, rester dans l'ombre à visage découvert ne déplaît pas à Jean-Jacques Goldman, qui depuis 20 ans nourrit la chanson populaire d'un humanisme organique et de tendresse lucide. Les chansons sont plus belles que ceux qui les chantent ? Reste à voir. Je reçois aujourd'hui Jean-Jacques Goldman. Bonjour.

JJG : Bonjour.

Isabelle Morizet : Jean-Jacques Goldman, Alter Mojze et Ruth Ambrunn, je sais pas si je prononce bien, ont fêté votre naissance le 11 octobre 1951. Dans quelle famille, dans quel univers vous êtes-vous éveillé au monde ?

JJG : Alors... Alter Mojze était né en Pologne à Lublin en 1909 et quand il a eu 15 ans il est parti, sans papier d'ailleurs, pour trouver du travail parce que c'était une grande misère la Pologne de l'époque, juste après la guerre 14-18 et il a abouti un petit peu en Allemagne, ensuite il est arrivé en France où il a travaillé dans des mines, il a posé des rails, il allait là où y avait du travail et ma mère est née à Munich en Allemagne et en 1933, quand Adolf Hitler est arrivé au pouvoir, son père a dit "on fait nos bagages, on s'en va". Ils ont débarqué à Lyon où ils ont monté un petit restaurant cachère.

Isabelle Morizet : Ils avaient choisi la France ?

JJG : Oui. Les deux avaient choisi la france. Mon père pour Victor Hugo, qu'il lisait à la lueur d'une bougie en yiddish, et ma mère, c'était son père qui a choisi ce pays.

Isabelle Morizet : Alors lorsque vous êtes né en 1951, qu'exerçaient vos parents ?

JJG : Alors quand je suis né en 1951, mon père avait un atelier de confection, il avait fait la résistance avant et pis après il fallait vivre et ma mère était mère au foyer puisque y avait déjà trois enfants. Et ensuite mon père a eu des problèmes avec la personne avec laquelle il travaillait, donc il a monté un magasin de sport à Montrouge. Voilà. Donc moi je l'ai connu tout le temps dans ce magasin de sport à Montrouge.

Isabelle Morizet : Vous avez aimé votre enfance ?

JJG : Oui. Oui oui.

Isabelle Morizet : Les souvenirs les plus heureux qui vraiment la raconteraient bien sont lesquels ? S'il fallait extraire comme ça euh...

JJG : Alors là je vais pas...

Isabelle Morizet : Du tissu de la mémoire... Allez un évènement !

JJG : Non non c'est une ambiance, alors "je parle déjà d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître", y avait pas la télé chez nous. Enfin jusqu'à euh... On a dû... La télé peut être vers 63, comme beaucoup de gens d'ailleurs. Moi j'avais 12 ans. Les soirées c'était tous dans la pièce et tout le monde lisait. Et donc c'était le silence, nous ça nous paraissait tout à fait normal. Puis tout à coup y en a un qui riait dans un coin alors tout le monde arrêtait sa lecture et puis l'autre expliquait pourquoi il riait alors on riait aussi et puis on continuait à lire. Et puis tout à coup y en avait un autre dans un autre coin qui disait "Ah ben faut que j'vous explique ça" et tout à coup tout le monde s'arrêtait et puis il nous lisait le passage. Voilà c'était cette espèce de solitude de chacun mais à plusieurs.

Isabelle Morizet : La musique était absente de cet univers ou pas ?

JJG : Elle était très peu présente. Mes parents avaient... Elle était pas du tout interdite mais euh...

Isabelle Morizet : Y avait pas de sensibilité musicale particulière ?

JJG : Non non. En dehors des chants scouts de ma mère et puis de quelques Chœurs de l'Armée Rouge que mon père se mettait de temps en temps ou des Compagnons de la Chanson, mais enfin on écoutait plus les informations que de la musique.

Isabelle Morizet : Ben justement Jean-Jacques Goldman puisque vous évoquez les chants scouts, pendant presque dix ans, je crois, vous avez été scout aux éclaireurs de France, avec d'ailleurs un surnom assez inattendu : kafra, arrogant et décidé. Ca signifie quoi ? Kafra c'est un animal je crois ?

JJG : Oui oui. Oui c'est toujours des animaux. Ca s'appelle un totem, on est totémisé quand on a 13/14 ans je crois. On vous donne le nom d'un animal qui vous ressemble et on vous donne deux adjectifs qui vous caractérisent.

Isabelle Morizet : Et arrogant et décidé ?

JJG : Ouais c'était étrange.

Isabelle Morizet : Vous, si pudique !

JJG : Ouais ouais.

Isabelle Morizet : Si discret !

JJG : Ouais c'était peut être à cause de ça, enfin une certaine réserve, qu'ils prenaient pour de l'arrogance. Et décidé, je trouve ça bizarre parce que j'ai jamais eu l'impression d'être très déterminé.

Isabelle Morizet : En tout cas, cette approche collective du monde au travers d'un groupe comme les Eclaireurs de France, est-ce que vous avez le sentiment que ça a laissé des traces en vous ?

JJG : Ah c'est plus que ça ! Pour moi ça a été absolument déterminant.

Isabelle Morizet : De quelle façon ?

JJG : De... Dans tous les sens, c'est à dire la possibilité de se réaliser personnellement mais au sein d'une collectivité. Sur le plan de la musique c'est énorme quoi les chorales... Là je viens de sortir un canon qui est directement né des chants du scoutisme. D'ailleurs il s'appelle "Ensemble" et y avait une chanson qui s'appelait "Ensemble" quand j'étais louveteau y a 40 ans.

Isabelle Morizet : On va l'écouter dans quelques instants. C'est une forme d'hommage presque cette chanson là ?

JJG : Oui ! Ah ben ça certainement ! En tout cas ça vient de là.

Isabelle Morizet : Est-ce que vous êtes déjà retourné à l'église St Joseph de Montrouge où vous vous produisiez, adolescent, dans un groupe de gospel baptisé les Red Mountain Gospellers ?

JJG : Bah j'y passe régulièrement à côté mais je m'y arrête plus. Je rentre pas dedans mais j'y passe chaque fois que je reviens vers Montrouge.

Isabelle Morizet : Mais alors, comment avez-vous décidé d'intégrer ce groupe ? Chanter du gospel dans une église, ça vous est venu comment cette envie ? Ca provoquait en vous quel genre d'exaltation ?

JJG : Déjà, lorsque j'étais en seconde, j'avais un copain, dans la même classe, qui m'a initié à la guitare blues et au blues, au blues très traditionnel. Et donc aussi au gospel et tout ça, et lui jouait dans cette paroisse, y avait un petit groupe et il manquait d'un organiste. Bon et moi je bricolais un p'tit peu les claviers et ils avaient une denrée extrêmement rare à l'époque qui était un orgue électrique, un orgue philicorde. Alors moi j'étais très intéressé par cet orgue donc j'ai intégré ce groupe où on avait du matériel et où on a pu commencer à jouer du blues et du gospel.

Isabelle Morizet : Mais vous chantiez, donc.

JJG : Oui je chantais mais pas en solo, je faisais les chœurs.

Isabelle Morizet : Donc sans le savoir, le père Dufourmantelle, c'est bien ce nom n'est-ce pas ?

JJG : Oui.

Isabelle Morizet : …a été finalement votre premier manager parce que je crois qu'il y a eu un disque auto-produit avec cette chorale !

JJG : Oui comme ça marchait bien, y avait des bons chanteurs, des bons musiciens, et puis on avait beaucoup d'enthousiasme, comme il voyait ça, il a dit "Bon ben moi je vais vous envoyer en studio, on va prendre une journée, on va enregistrer un petit disque et puis on le vendra à la sortie des églises." Et donc on a commencé à faire les églises du quartier et puis des banlieues où on venait avec notre batterie, on chantait du gospel et puis on vendait les disques à la sortie.

Isabelle Morizet : Vous avez gardé un exemplaire de cet enregistrement ?

JJG : Oui. Oui oui on m'en a renvoyé un. Il a été tiré à 1000 exemplaires.

Isabelle Morizet : Est-ce que c'est à cette époque là que Bob Dylan est entré dans votre vie Jean-Jacques Goldman ?

JJG : Oui c'est ces années-là : 65, 66 oui dans ces eaux-là.

Isabelle Morizet : Alors qu'est-ce qu'il a éveillé en vous Dylan ?

JJG : D'abord je comprenais rien de ce qu'y disait mais j'étais bouleversé.

Isabelle Morizet : Pourquoi bouleversé ?

JJG : Parce que les chansons c'est comme ça, on n'a pas besoin de comprendre pour être bouleversé. On n'a pas besoin de sens. Ca s'adresse aux pieds d'abord. Ou aux bras, ou au cœur mais pas au cerveau. La chanson sa force elle est là. C'est pas un manifeste, c'est pas un article, c'est d'abord une sensualité.

Isabelle Morizet : Et pourtant on ne peut pas nier le fait qu'il y ait des chansons à message.

JJG : Mais... Une chanson elle peut être à message a posteriori mais au départ c'est quelque chose qui séduit. C'est ça que je veux dire. C'est comme une fille, bon elle peut être très intelligente mais au départ on la désire ou un garçon d'ailleurs. Mais y a pas que la raison. On n'est pas juste des casques, des lunettes, on n'est pas des purs esprits. Et je trouve que la chanson elle a ce rôle extraordinaire et cette capacité extraordinaire d'être d'abord goûtable sensuellement avant d'être comprise. Voilà Bob Dylan c'était ça. C'était une attitude, c'était une façon de répondre aux interviews, c'était un blouson, c'était une fille sur son épaule enfin c'était magnifique.

Isabelle Morizet : Magnifique. Les premiers fantasmes, les premiers rêves, les premières audaces ?

JJG : Moi j'ai jamais été audacieux alors là je sais pas, peut-être l'année prochaine.

Isabelle Morizet : Vous n'avez jamais été audacieux ?

JJG : Non non je crois pas.

Isabelle Morizet : Ensemble est un mot qui porte l'espoir, on va immédiatement plonger dans ce premier titre extrait du nouvel album, très festivement baptisé, et vous venez de nous expliquer pourquoi, "Chansons pour les pieds".

[Jean-Jacques Goldman - "Ensemble"]

Isabelle Morizet : "Ensemble", extrait du nouvel album de Jean-Jacques Goldman baptisé de façon aussi joyeuse qu'inattendue : "Chansons pour les pieds". Vous venez de nous donner la raison de ce titre mais quand même vous avez hésité à l'imposer autour de vous ? On trouvait qu'il était assez curieux ?

JJG : Oui.

Isabelle Morizet : C'est vrai ?

JJG : Oui ça ne m'a que conforté.

Isabelle Morizet : Vous voyez qu'on avait donc raison lorsque vous étiez aux Eclaireurs de France, Jean-Jacques Goldman, de vous baptiser, Kafra, arrogant, certainement pas, mais décidé oui ! Parce que vous êtes un têtu, un acharné.

JJG : Peut-être, je sais pas. Je fais pas assez d'introspection… docteur.

Isabelle Morizet : Quelles sont les ambiances et les musiques, en tout cas, que vous avez tenues à explorer au travers de ce nouvel album ? Parce que c'est un sacré survol.

JJG : D'abord, je trouve qu'il en manque. Par rapport à ce qu'on vient de dire j'aurai dû mettre une chanson un peu russe yiddish ça c'est sûr. Un peu de tzigane comme ça euh j'aurai dû mettre une chanson un peu comme "Elle a fait un bébé toute seule" un peu country et puis bon j'en ai pas eu c't'année donc euh ce qui reste c'était des chansons un peu bluesy, une chanson rock, une chanson Rythm&Blues. Là j'avais une tarentelle, j'avais envie de faire un truc un peu à 6/8 comme ça parce que j'ai pas fait ça depuis longtemps. Bon y a un zouk parce que depuis que je vais jouer aux Antilles, c'est un style que j'aime bien. Voilà… des trucs comme ça.

Isabelle Morizet : Bon alors on n'a pas fini d'agiter les promesses et les sortilèges de l'adolescence, votre adolescence. On vous retrouve donc au lycée, peu de temps avant le bac. Est-ce que vous étiez concerné par les études ou bien vous rêviez déjà d'autre chose ?

JJG : Moi je rêvais d'essayer de faire partie de la classe. Parce que j'étais un peu à part, j'avais du mal à m'intégrer, j'étais un peu bizarre peut être à cause de ma famille, la façon dont j'ai été élevé, j'savais pas jouer au flipper, j'savais pas parler aux filles, j'avais les cheveux tout courts, j'crois que j'étais un des derniers à aller à l'école en culotte courte donc euh… bon on se moquait pas de moi mais j'étais pas…

Isabelle Morizet : Vous en souffriez ?

JJG : Non je sentais que je faisais pas partie de l'école. J'avais des copains bizarres.

Isabelle Morizet : C'est-à-dire ?

JJG : Ben des gens un peu comme moi qu'avaient du mal euh… Des gens qu'avaient des difficultés à s'intégrer aux autres.

Isabelle Morizet : Donc vous aviez le sentiment de… en tout cas, pas être formaté pour ce qui, en théorie, intéresse les adolescents.

JJG : Voilà. J'étais en même temps probablement en avance sur certains plans et très immature et très en retard sur d'autres plans : ceux de la vie quotidienne… J'dirais du flipper…

Isabelle Morizet : Votre père, Jean-Jacques Goldman, était communiste mais en rupture avec le parti français, vous aussi vous avez toujours porté en vous la nostalgie d'un idéal improbable ?

JJG : Ben c'est à dire que quand on est dans une famille d'immigrés, on met beaucoup d'importance dans la politique parce que c'est elle qui décide de notre destin. Ce sont toujours des décisions politiques, décisions inter-états qui ont fait qu'un jour ma gand-mère a été malheureuse, qu'un jour mon père a dû partir, qu'un jour ma mère a été… Donc on a toujours été très attentif à ces choses-là. C'est pas parce qu'on est plus malins que les autres, c'est simplement parce qu'on sait que c'est important pour nous.

Isabelle Morizet : Donc votre conscience avait cette fibre même à l'adolescence ?

JJG : Donc le fait aussi d'avoir été les enfants d'un père militant, c'est vrai que les trois autres enfants ont été, en dehors de moi, ont été très militants.

Isabelle Morizet : Vos parents venaient donc d'Europe de l'Est, ils ont choisi la France. A partir de quel âge vous avez pris conscience de cet héritage juif ashkénaze ?

JJG : Ben tout le temps, vous savez je racontais ça à mes enfants y a pas longtemps, quand ils dorment eux ! Vous savez les enfants qui quand ils sont dans une pièce là à côté puis qu'ils entendent les parents et les amis des parents en train de parler, moi c'était la même chose sauf que les gens ils parlaient pas ma langue. J'comprenais pas ce qu'ils disaient. Donc ça c'était une chose qui était tout le temps présente. Je savais…

Isabelle Morizet : …que vous veniez d'ailleurs.

JJG : Voilà ! On se rendait bien compte de ça. Mais sans honte du tout et sans peine. Mais en tout cas c'était une conscience. Puis j'allais pas au catéchisme le mercredi, des choses comme ça.

Isabelle Morizet : Oui. Aujourd'hui, juif ashkénaze, vous vous sentez ainsi plus par le cœur ou par l'esprit ?

JJG : Les deux. Oui oui j'suis comme ça, comme on est corse, comme on est breton.

Isabelle Morizet : Bon alors à 20 ans, Jean-Jacques Goldman, parce que je reprends le fil de mon histoire, vous n'osiez pas encore plonger, j'veux dire délibérément, dans la musique puisque y avait le rempart des études avec l'EDHEC, une école de commerce et puis la fac de sociologie mais parallèlement je sais que vous jouiez dans les bals et puis les foyers d'étudiants. Quels souvenirs vous gardez de cette époque ?

JJG : Alors moi la musique ça a été justement ma façon de rentrer en contact avec le monde. C'est pour ça que j'ai fait de la musique. Comme j'avais du mal quand j'étais adolescent, j'me suis rendu compte qu'en faisant de la musique, tout à coup j'étais intégré dans des groupes, tout à coup on m'appelait, tout à coup j'avais un intérêt, tout à coup les filles me regardaient, enfin tout ça. Ben oui c'est important ! Donc la musique pour moi était ce langage avec les autres. Les études étaient ce que je faisais pour faire plaisir à mes parents. C'était une obligation pour eux, pour s'intégrer il fallait qu'on fasse des études.

Isabelle Morizet : Mais le véritable outil d'intégration, c'était la musique.

JJG : Par rapport aux autres oui. Mais par rapport à la société c'était évidemment faire des études et puis avoir un métier, ce qui pour eux était une angoisse.

Isabelle Morizet : C'est seulement en 81, donc à l'âge de 30 ans, que vous sortez votre premier album solo après bien sûr avoir participé pendant presque 5 ans à l'aventure du groupe Thaï Phong. Commencer une carrière à 30 ans, c'est une chance ?

JJG : Disons, dans un pays comme la France, qui est un pays d'auteurs compositeurs, oui. Puisque n'importe comment y a pas beaucoup de succès à 20 ans, 22 ans, en dehors des interprètes comme Sylvie Vartan, comme Johnny Halliday, etc. Mais vous voyez des gens comme Aznavour, Brel, Brassens, tout ça, ils ont vraiment attendu longtemps. Y en a rarement qui sont arrivés au succès avant 35 ans.

Isabelle Morizet : Donc ce temps de décantation il était important pour vous ? De 20 à 30 ans vous étiez immergé dans la musique, le succès ne vous avait pas encore cueilli, mais vous avez beaucoup appris pendant cette période là.

JJG : Sûrement. Bon d'un autre côté j'aurai bien aimé faire de la musique aussi à ce moment là un petit peu plus mais j'ai adoré ce que j'ai fait aussi, enfin j'sais pas… Je me pose pas… J'crois pas qu'il faille se poser ces questions-là, c'est comme ça. Voilà.

Isabelle Morizet : C'est comme ça et le temps fait bien les choses.

JJG : Pas toujours. Pas toujours. J'ai énormément de copains, avec lesquels j'ai fait de la musique et puis qui auront cette frustration tout le temps de pas avoir réussi et qui font maintenant un métier qui leur plaît pas forcément et ils auraient rêvé d'être à nos places. Donc le temps fait pas forcément bien les choses.

Isabelle Morizet : "Il suffira d'un signe" sera le premier single cabalistique qui ouvrira la brèche à un flot de tubes ininterrompu dont vous écrirez bien sûr paroles et musique. Or, il paraît, Jean-Jacques Goldman, que c'est un certain concert de Léo Ferré, vous allez me dire si c'est vrai, qui vous a donné envie de devenir auteur en français. Parce qu'il paraît qu'avant ce concert, vous ne songiez écrire qu'en anglais.

JJG : Euh oui pour moi la musique, à c't'époque-là c'était vraiment très dur parce que d'un côté y avait la variété française qui était essentiellement des reprises et d'un autre côté y avait les hits-parade anglais et américains où tout à coup une semaine le premier du hit-parade c'était un groupe qui s'appelait les Beatles (prononcé Beûatles), la semaine d'après c'était les Rolling Stones (prononcé Rolinge Stone), la semaine d'après c'était les Pink Floyd, après un nouveau gars qui s'appelait Jimmy Hendrix, après un autre gars qui s'appelait John Mayall où y avait un guitariste qui s'appelait Eric Clapton enfin c'était hallucinant ce qu'on vivait et puis tout à coup y avait un type qui avait fait un truc de danse là… un peu méprisé qui s'appelait Sex machine, il s'appelait James Brown. C'était une époque de folie puisqu'il y a pas un titre de cette époque-là qui n'est pas resté historique. Bon alors moi la musique elle se passait là. Je savais même pas qu'il existait une chanson française en dehors des Brassens, Brel, Trenet, etc. dont je me sentais pas du tout l'héritier ou le fils. J'avais beaucoup de respect pour ça mais je me sentais pas du tout concerné.

Isabelle Morizet : Mais alors que s'est-il passé à ce fameux concert de Ferré ?

JJG : Alors un jour à Lille, où j'étais étudiant, je vais voir… j'vais pas voir Léo Ferré, je vais voir un groupe qui s'appelle Zoo. Parce que je connaissais tous les groupes rock et Zoo était un des groupes leader de la scène rock à l'époque et donc je vais les voir en première partie et puis bon comme c'était chauffé je suis resté en deuxième partie et là je vois un gars qu'arrive et qui commence à chanter en français accompagné par le groupe que j'aimais ! Et là je reste cloué sur ma chaise, parce que tout à coup, sur la musique que j'aimais, j'entends des mots.

Isabelle Morizet : Mais alors tout à l'heure vous avez dit que la musique, en même temps, c'était une onde sensuelle. Donc la musique ça peut être aussi, et Ferré l'a magistralement prouvé, infiniment cérébrale.

JJG : C'est à dire c'est une dimension en plus. Moi je restais avec cette onde sensuelle qui était donnée par ces guitares, ces batteries, ces arrangements que j'aimais et tout à coup, lui, il déchirait tout, il rajoutait une dimension qui était la dimension du mot. Et là je me suis dit : "Donc y a quelque chose qui est possible". Bon après y a eu d'autres gens. Des gens comme Polnareff, des gens comme Charlebois, des gens comme Berger qui nous ont prouvés qu'on pouvait mettre des mots sur cette musique que j'aimais mais pour moi c'était… je ne savais pas ça.

Isabelle Morizet : Vous avez évoqué à l'instant le bouillonnement incroyable que représentait le bain musical de l'époque, des années 60/70, mais vous avez le sentiment qu'aujourd'hui, Jean-Jacques Goldman, il y a peut être euh… On ressent moins cette curiosité et cette créativité ? Comme si, ça y est, toutes les cartes avaient été posées sur la table ?

JJG : Non peut être, toutes les cartes ne sont pas posées sur la table mais quand un groupe comme Police, par exemple, a débarqué ben on les a vus débarquer, quand un groupe comme U2 a débarqué, on les a vus débarquer. Et puis quand on voit rien débarquer…

Isabelle Morizet : Aujourd'hui à l'horizon, vous ne voyez rien débarquer ?

JJG : Ben incontestablement non ! Y a des améliorations, des modifications, on va dire, de forme. En particulier dans les rythmiques, là y a beaucoup d'avancées qui sont amenées par la techno, par le rap et tout ça. Et par la technologie qui change même notre façon d'enregistrer à nous. Mais on peut pas dire que dans le fond, puisque eux-mêmes sont amenés à reprendre des titres de Stevie Wonder, ou des titres de Police qu'ils réaménagent à la nouvelle sauce. On peut pas dire, effectivement, qu'il y ait un artiste inoubliable là. Rappelez vous le bruit qu'on a fait sur Oasis et qu'est-ce qu'il reste de Oasis. C'est une blague !

Isabelle Morizet : Les oasis sont parfois des mirages, eh ben voilà. Alors vous avez choisi, Jean-Jacques Goldman, d'écouter Mark Knopfler, "Silvertown Blues", pour quelle raison ?

JJG : Ben parce que Mark Knopfler c'est vieux et puis… Voilà enfin écoutons…

Isabelle Morizet : Ecoutons ! On se retrouve ensuite avec Jean-Jacques Goldman.

[Mark Knopfler - Silvertown Blues]

 

- 2ème partie (3,7 M) 

Isabelle Morizet : Mark Knopfler ! Silvertown Blues. Jean-Jacques Goldman est avec nous pour une longue et magnifique promenade sur le fil de la mémoire. On va le retrouver après le flash de 17h.

[Flash]

Isabelle Morizet : Jean-Jacques Goldman, "longtemps" existe, "toujours" n'existe pas. Quel regard ça vous amène à porter sur votre métier et puis la vie qui en découle ?

JJG : Là comme ça en deux minutes ?

Isabelle Morizet : Comme ça en deux minutes ! On va essayer de faire un exercice de concision, un exercice chirurgical.

JJG : Y avait un lieu commun, alors on dit vous, que vous avez dû entendre y a quelques temps, enfin au début quand on a commencé c'était "les chanteurs de coups ou les chanteurs de carrière" donc c'était entre longtemps, enfin un peu, longtemps et toujours. Et puis on se rend compte que, puisque la question c'est professionnel c'est ça ?

Isabelle Morizet : A la fois dans la vie et à la fois, bien évidemment, par rapport au métier qui est le vôtre.

JJG : Oui. Par rapport à un autre métier, j'ai l'impression que longtemps c'est une suite de coups.

Isabelle Morizet : Le longtemps c'est une suite de coups ?

JJG : Je crois oui.

Isabelle Morizet : On tricote de l'éphémère avec de l'éphémère et on arrive à tenir ?

JJG : Je crois. On a vu des artistes qu'on croyait là pour toujours parce que c'était profond, etc. et puis tout à coup ont disparu et puis on a vu des Johnny Hallyday dont on cassait les disques sur cette antenne et qui sont encore là, ou des Claude François qui vivent même après leur mort alors qu'ils ont fait des carrières dans un mépris… enfin je parle pour ceux qui décident si ça va être longtemps ou pas.

Isabelle Morizet : Qu'est-ce que ça évoque pour vous d'ailleurs, Jean-Jacques Goldman, le fait d'utiliser ainsi après la mort d'un artiste tout son répertoire de façon, bien évidemment, purement commerciale ?

JJG : Ben oui mais bon, une fois de plus, ça reviendra dans l'interview, moi je crois que les chansons elles sont faites pour être chantées. Je trouve ça triste quand des chansons meurent avec celui qui les a chantées. Ca veut dire qu'il y avait un attachement plus à lui qu'à ce qu'il faisait. Donc moi je trouve… enfin je suis sûr que lui, en tout cas, adorerait ça.

Isabelle Morizet : Vous qui collectionnez exclusivement les albums de diamant, la notion de désamour du public parfois, elle vient vous cueillir ? Avant la sortie d'un album, par exemple -bon on sait que c'est déjà un triomphe "Chansons pour les pieds"- mais avant qu'il ne sorte ?

JJG : Ben là quand même, y a un âge où on sait qu'on a des fidèles. Y a des gens qui nous suivent au bout d'un moment. Ca fait 20 ans que je suis là dedans donc c'est pas prétentieux de dire ça. Et maintenant moi je dis la même chose que je disais au tout début, c'est à dire y a un nombre de disques important de vendre qui est celui qui vous permet de continuer votre métier, ce qui n'est plus mon problème mais au début on a ça.

Isabelle Morizet : Quel est l'album qui pour vous a joué ce rôle ?

JJG : Ben y en a…

Isabelle Morizet : Celui qui vraiment vous a installé dans le cœur du public français.

JJG : Le premier ! C'est à dire, à partir du premier quand j'ai vu que les gens me suivaient, je savais que je pouvais faire ce métier. Mais ça se joue dans ces chiffres-là. C'est un vrai enjeu, c'est-à-dire à 10.000 on peut pas. Et après quand on fait des concerts, il faut réussir à faire 600 à 800 personnes quand on joue à Montluçon ou quand on joue à Brest ou quand on joue à Metz. Si on n'arrive pas à faire ces 800 personnes ou ces 500 personnes, on peut pas tourner. Donc y a quand même un chiffre, y a des chiffres, qui déterminent si on peut continuer ce métier ou pas. Bon ça je pense qu'on peut l'obtenir avec du travail, avec de la conscience, avec du talent… Au-dessus, c'est plus vous qui décidez. Au-dessus, y a du vent qui souffle. Donc il faut qu'un jour y en a un qui va être dans le vent, et un autre jour ça va être un autre et bon on peut pas dire qu'un album de Yves Duteil actuellement est moins bon que les albums que toute la France chantait. Ils sont même peut être meilleurs parce qu'il a encore mûri et tout ça. Mais bon y a des questions comme ça de vent qu'il ne contrôle pas. Tout ce qu'il peut contrôler, tout ce que je peux contrôler, tout ce qu'on peut contrôler c'est de réussir à faire ces 800 à personnes à Montluçon et ces 50.000 disques ou ces 100.000 disques qui font que on peut continuer à faire notre travail, voilà, et après c'est que du bonus et du bonheur.

Isabelle Morizet : Artistiquement, Jean-Jacques Goldman, on vous dit étonnamment fidèle à vous-même. Certains osent d'ailleurs parfois vous le reprocher ; vous, aujourd'hui c'est par les mots ou par la musique que vous avez le sentiment d'explorer le plus loin, d'explorer votre métier.

JJG : Aujourd'hui ? Alors aujourd'hui moi je me dis depuis longtemps, depuis que j'ai fait 3 ou 4 albums, je dis que tous les compositeurs, je parle pas spécialement de moi, mais tous les compositeurs tournent en rond. C'est-à-dire, on a un bagage… Bon alors peut être y a 2 ou 3 exceptions mais on a un bagage mélodique, bon que ce soit B. B. King, que ce soit Chuck Berry bon là ce sont des exemples peut être extrêmes !

Isabelle Morizet : On bâtit sa maison.

JJG : Et voilà.

Isabelle Morizet : Et après, on l'aménage, au fil du temps !

JJG : Je vais pas faire des suites d'accords que je connais pas, je vais pas faire des mélodies que je connais pas, etc. C'est valable pour tout le monde, moi quand j'entendais une chanson de Léo Ferré sur son dernier album, je savais que c'était Léo Ferré cette suite d'accords. Enfin bon voilà. Par contre, le chant des mots est beaucoup plus inépuisable et donc j'ai l'impression que c'est plutôt vers les textes que je peux…

Isabelle Morizet : …explorer.

JJG : Que je peux explorer un peu plus loin.

Isabelle Morizet : Quel rapport vous entretenez avec votre voix suraiguë, tendue ? Elle vous ressemble cette voix ou bien il vous a fallu l'apprivoiser ?

JJG : J'ai pas beaucoup travaillé.

Isabelle Morizet : Parce que votre voix parlée est très différente de la voix chantée. Enfin surtout dans les premiers albums ! C'est vrai qu'avec le temps elle est devenue un peu moins aiguë, mais tout de même…

JJG : Moi j'aime bien les voix à la Joe Cocker, à la Garou, bon ben c'est comme ça.

Isabelle Morizet : Ce sera pour la prochaine vie.

JJG : Voilà. Donc je m'y suis fait et je l'ai pas beaucoup travaillée et je l'estime, à mon avis, comme elle est, c'est à dire je trouve que c'est pas une mauvaise voix, elle peut faire certains trucs pas mal, certains trucs non mais je la considère tout à fait avec ses limites par rapport aux grands interprètes avec lesquels j'ai travaillé, bon des gens comme Hallyday, des gens comme Céline Dion, etc. Là je vois ce que c'est que des grands chanteurs, je me mets pas du tout dans cette catégorie là évidemment, mais bon je trouve que ça va.

Isabelle Morizet : Vous êtes dans la vie, l'homme certainement le plus discret du monde, mais en même temps vous êtes celui qui chante sur scène devant 10.000 personnes. LA pudeur qui est la vôtre, comment elle s'accommode de la dose de narcissisme inévitable qu'il faut posséder pour faire chanteur ?

JJG : Mais j'ai vraiment fait chanteur par hasard. Je vous assure, ça je peux le prouver.

Isabelle Morizet : C'est vrai ? J'ai pourtant du mal à le croire.

JJG : Oui oui. Moi j'ai essayé entre les années 78 à 80, quand j'ai arrêté le groupe Thaï Phong, où j'étais vraiment… Je faisais partie du groupe donc c'était beaucoup plus anonyme. J'ai vraiment essayé d'écrire des chansons pour les autres, Marc Lumbroso essayait de me placer et tout ça, et c'était impossible, quand on est inconnu on… J'ai réussi une ou deux mais j'y arrivais pas. Et il se trouve que j'avais une voix pas trop mauvaise et tout ça, et donc on a fini par proposer mes chansons chantées par moi. Si y avait eu un seul interprète qui m'avait fait confiance…

Isabelle Morizet : Qui s'était emparé de ces titres-là ?

JJG : Oui d'ailleurs ces titres-là étaient déjà des chansons comme "Il suffira d'un signe", etc. avaient même déjà été enregistrées, elles étaient pas sorties mais donc j'étais prêt déjà à dilapider, enfin… à confier toutes ces chansons à d'autres interprètes.

Isabelle Morizet : Donc c'est vrai lorsqu'on peut lire dans certaines interviews anciennes que à l'époque votre ambition c'était vraiment de rester à Montrouge, de n'apparaître nulle part, mais de placer des chansons …

JJG : Voilà.

Isabelle Morizet : … et éventuellement d'acheter un deuxième magasin à côté de celui de vos parents.

JJG : Ah non ! Ca non, pas acheter un deuxième magasin. Plutôt vendre celui-là pour faire plus que des chansons.

Isabelle Morizet : D'accord.

JJG : Vivre en faisant des chansons je sentais que j'adorais ça et je sentais que j'étais capable de faire ça mais j'imaginais pas une seconde… Bon après il a fallu aller en studio, alors pendant mes vacances j'ai enregistré cet album, j'suis retourné au boulot puis vers le mois de septembre j'ai entendu "Il suffira d'un signe" à la radio. Et puis alors après j'ai refait un autre album qui était "Quand la musique est bonne", pareil, j'travaillais au magasin, et puis voilà etc.

Isabelle Morizet : Vous continuiez d'être dans votre magasin de sport à Montrouge alors que le deuxième album jouissait déjà d'un triomphe dans l'hexagone absolument faramineux, ça vous empêchait pas de vivre la vie vraie ?

JJG : Ca allait, disons je venais d'une télé, j'me démaquillais dans le taxi et puis j'allais vendre des chaussures après, c'était assez surréaliste mais c'était super.

Isabelle Morizet : C'était totalement surréaliste !

JJG : Ouais ouais.

Isabelle Morizet : Et vous avez fait ça pendant combien de temps ?

JJG : Alors jusqu'en décembre 82 mais là euh… Avant décembre 82 on a sorti "Comme toi", et là je sentais que ça prenait une ampleur que je pouvais plus contrôler.

Isabelle Morizet : Il va falloir vous remplacer dans le magasin.

JJG : Voilà. Donc là j'ai décidé de continuer et ensuite je voulais faire une carrière sans scène. Parce que pour moi, la scène était impossible. Elle n'était pas dans ma nature, j'avais trop peur. Et là c'est pareil c'est au bout de… donc j'ai fait de la scène assez tard et je l'ai faite parce que je commençais à recevoir des lettres de gens qui disaient ne pas venir sur scène chez nous, à Limoge ou à Toulouse, c'est nous trahir, par rapport à ce qu'il y a dans les chansons, c'est pas honnête, mais gentiment ils me disaient ça. Alors voilà. Donc j'ai fait une toute petite tournée, dans des toutes petites salles où je prenais des médicaments sur scène pour pouvoir simplement aller jusqu'à la lumière et puis peu à peu j'ai appris, voilà.

Isabelle Morizet : Alors puisque vous parlez de scène, c'est une légende ou vrai que pendant les premières parties de vos concert, Jean-Jacques Goldman, vous vous immergez parfois dans la foule mais bien planqué hein, le bonnet au ras des yeux ?

JJG : Dans toutes les premières parties, par exemple j'étais à Toulouse à faire un concert pour les sinistrés, donc moi je passais vers la fin, y avait Cabrel sur scène, y avait Marc Lavoine, y avait Patrick Bruel, y avait Patricia Kaas, euh y avait des tas de gens que j'aimais bien alors j'allais pas rester dans la loge quand même pendant ce temps-là ! Alors là je mets mon blouson, mon bonnet, mes lunettes et puis je vais dans la salle et puis j'assiste au concert.

Isabelle Morizet : J'ai vérifié ça au concert de Céline Dion, au Stade De France, j'vous ai aperçu, j'étais pas loin de vous, dans la foule, immobile, terriblement attentif, totalement immergé, ça correspond vraiment bien à votre nature. Mais le fait que ce métier justement, n'ait rien dénaturé, c'est ça qui est extraordinaire…

JJG : Mais c'est peut être par égoïsme, mais moi je trouve qu'à ce moment-là par exemple, la meilleure place elle est pas dans la loge avec le champagne et tout ça, la meilleure place elle est quand même à écouter Céline, enfin il me semble, ou à écouter Francis Cabrel, le luxe il est là. Il est pas… Je trouve ça terrible d'être enfermé dans une salle, même si elle est en or, parce que ce qui se passe c'est pas là que ça se passe. Ca se passe là à 20 mètres et c'est quand même dommage de pas y aller.

Isabelle Morizet : Mais alors plus concrètement, le goût de l'anonymat, la liberté que procure cet anonymat, comment vous vous débrouillez, dans la vie de tous les jours, pour pouvoir le savourer ? De quelle façon vous organisez-vous, vivez-vous ?

JJG : Ben d'abord moi je vis de façon très casanière, je sors pas beaucoup, je bouquine, et puis quand j'ai un tennis à faire, je prends mon vélo et voilà. Et puis y a des gens qui me croisent, je leur dis "bonjour", ils me connaissent, et j'arrive au tennis, je me fais battre, je suis déprimé, je rentre chez moi, je pleure, voilà (rire). C'est comme ça tous les jours.

Isabelle Morizet : Vous êtes sans doute en France, l'auteur compositeur qui touche le plus de droits SACEM. Or, manifestement effectivement l'argent n'a rien dénaturé en vous. C'est parce que vous vous en méfiez de l'argent ?

JJG : Pas du tout non non. C'est très bien l'argent.

Isabelle Morizet : Quel rapport vous entretenez avec l'argent ?

JJG : Un rapport utilitaire. J'm'en fous voilà. Si je veux acheter une maison, j'achète une maison. Si je veux partir dans un hôtel avec des amis, de la famille et puis qui peuvent pas payer eh ben… ça me permet de pas avoir ces problèmes là. Une fois de plus, c'est comme tout à l'heure pour le succès : quand on n'en a pas c'est une catastrophe mais quand je travaillais dans le magasin j'avais une paye de cadre moyen, ben ça allait très bien.

Isabelle Morizet : Mais alors par exemple, vos parents, dont les convictions se rattachent à la doctrine communiste, comment ils ont vécu cette ascension financière qui est très particulière ?

JJG : Ben c'est à dire les communistes ils sont pas pour que tout le monde soit pauvre, ils sont pour que tout le monde puisse vivre. Voilà donc y a pas de haine de l'argent, ça c'est autre chose, c'est les ascètes ou je ne sais pas qui, qui est pour le dénuement. Eux ils sont pour que tout le monde ait de quoi vivre.

Isabelle Morizet : Pour vous, la plus belle façon d'utiliser l'argent, c'est d'en faire quoi ?

JJG : Malheureusement, je crois que les vrais luxes sont pas chers. Un vrai luxe pour moi c'est le soleil, c'est être tranquille sur une plage, c'est l'amour, c'est un livre, c'est un concert, voilà bon ben c'est vrai qu'il y a des gens qui n'ont pas les 250 balles pour aller à un concert, bon ben c'est mieux de les avoir mais je trouve que quelqu'un qui est très riche il a pas une plus belle vie, une fois de plus, que quelqu'un qui est ouvrier spécialisé ou que… voilà.

Isabelle Morizet : Au travers de la chanson, Jean-Jacques Goldman, vous avez un engagement social extrêmement fort, notamment avec les Restos du cœur, est-ce que l'homme que vous êtes aimerait parfois aller encore plus loin que l'artiste qui va déjà loin ?

JJG : L'homme que je suis, non. Mais je m'en veux. Je trouve que le vrai courage c'est d'aller au bout, c'est à dire de faire ce que fait Véronique Colucci, c'est à dire de devenir directrice des Restos du cœur et puis d'y passer 28 heures sur 24, ou de faire ce que fait Yves Duteil, c'est à dire de devenir maire d'un village ou ce qu'à fait Francis pendant longtemps qui était conseiller municipal ou d'aller plus loin. Moi j'ai beaucoup d'estime pour ces gens-là quand ils le font pour des bonnes raisons et je trouve que le fait juste d'être bénévole un mois par an, en plus en faisant quelque chose d'extrêmement drôle, voilà… c'est bien, vaut mieux ça plutôt que de pas le faire, mais si j'étais plus généreux et plus courageux, j'en ferai plus.

Isabelle Morizet : Il vous arrive parfois, Jean-Jacques Goldman, de rêver à d'autres vies ?

JJG : Non là ça va. Franchement, je suis pas mal tombé.

Isabelle Morizet : Donc finalement, avec cette conscience…

JJG : Si il y a réincarnation, si je peux refaire la même, ça va.

Isabelle Morizet : La même, hein ? On va faire la lettre au Père-Noël. Mais alors dites-moi, avec cette conscience exprès mais permanente qui est la vôtre, quelle forme peut bien prendre pour vous, l'idée la plus forte du bonheur ? C'est difficile d'être heureux quand on est conscient ?

JJG : Je crois que le bonheur c'est quelque chose qui est hérité, c'est quelque chose qui n'a pas de rapport avec ce qu'on vit. C'est un héritage d'éducation, d'exemple parental qui fait que des gens peuvent être dans des situations matérielles extrêmement difficiles et rigoler. Enfin bon ça on l'a vu tous dans les rues de Dakar ou de Madagascar. Et d'autres, dans de beaux quartiers, avoir objectivement pas de raison d'être triste et se réveiller tout le temps avec un vrai désespoir et un vrai mal-être. Je pense que ça a très peu de rapport avec ce qu'on vit, bon évidemment sauf quand on… si on est né à côté de Tchernobyl, y a 10 ans effectivement, y a quelques raisons. Mais globalement, je trouve que le bonheur c'est vraiment une notion qui est hérité.

Isabelle Morizet : Alors, ce goût du bonheur, vous en avez hérité de vos parents ?

JJG : Eh oui. Oui oui. J'ai déjeuné avec mon frère et ma sœur il y a trois jours et on s'est dit ça. Parce que tout le monde a traversé des périodes plus ou moins difficiles et on s'est dit qu'on avait ça. C'est à dire de se lever le matin et de trouver que c'était une bonne idée.

Isabelle Morizet : C'est pas la chanson "Bonne idée" qu'on va écouter là justement mais un titre que vous avez choisi dans cette émission, c'est "Sous le vent" interprété par Garou et Céline Dion. Pourquoi ce choix ?

JJG : Parce que je trouve que c'est une chanson magnifique et c'est un de mes amis marseillais qui l'a composée, qui s'appelle Jacques Veneruso, et je suis super content pour lui.

Isabelle Morizet : On plonge dans cette chanson et on retrouve tout de suite après Jean-Jacques Goldman.

[Garou et Céline Dion - "Sous le vent"]

Isabelle Morizet : Par hasard, ces deux artistes-là, Jean-Jacques Goldman, sont pour vous vraiment au sommet, en ce moment, de cet art populaire qu'est la chanson ?

JJG : Dans les faits, oui. Mon idée c'est que c'est justifié. Et mon plaisir c'est que ça vient de façon entièrement spontané. C'est deux personnes que j'ai la chance de côtoyer sur le plan personnel, c'est des gens qui aiment la musique. Vraiment. Ils sont pas là par hasard, et ils y auraient été n'importe comment quelque soit… même si ça avait pas été au Zénith.

Isabelle Morizet : Alors en 95 vous avez écrit, composé et réalisé pour Céline Dion, un album dans lequel la chanson intitulée "Pour que tu m'aimes encore", a détrôné le "Boléro de Ravel" au classement mondial des droits SACEM, ça n'est pas rien. Céline Dion, de quelle façon vous l'avez rencontrée ?

JJG : Je l'ai croisée à une ou deux reprises sur des émissions où on s'était dit deux trois mots, mais moi je savais que c'était une chanteuse inouïe, et absolument particulière, et donc je savais qu'un jour... j'avais eu l'occasion d'écrire pour Hallyday, et j'avais une envie d'écrire pour une grande voie féminine, et je savais que c'était elle. Donc lorsque j'ai eu le temps et que j'avais les idées, j'ai demandé à la rencontrer.

Isabelle Morizet : Pour l'album que vous avez conçu pour elle, y avait des directives particulières ou pas du tout, on vous a laissé carte libre ?

JJG : Non aucune puisque elle avait des gros problèmes en France, ça marchait pas depuis pas mal d'années, elle avait du mal, et donc elle, à la limite, comprenait pas trop pourquoi elle arrivait pas à toucher ce pays-là après l'avoir touché quand elle avait 13 ans. Donc ça faisait plus de dix ans qu'elle avait ce soucis et moi il me semblait que j'avais la solution donc c'est moi qui lui ait proposé des choses et elle a été extrêmement attentive et sans aucune directive.

Isabelle Morizet : Alors quel est le plus joli souvenir que vous gardez de la période où vous avez façonné pour la première fois un album de Céline Dion ?

JJG : C'est vraiment quelqu'un qui est très facile à travailler, alors, juste une chose, la première fois qu'on a rencontré des journalistes, on a fait un rendez-vous dans un studio de ce genre là, peut être un peu plus grand, pour leur faire écouter le disque. Et puis à la fin -c'est quelque chose que j'avais prévu avant pour leur montrer en quoi elle était absolument particulière-, au lieu d'aller dans le studio pour chanter une chanson en direct et tout ça, moi je me suis assis sur les machines de l'autre côté -donc y avait les journalistes autour de nous-, j'ai pris une guitare et elle a commencé à chanter. Et là y avait rien à dire, je savais… je voulais leur faire partager ce que moi je vivais quand on était dans un taxi ou quand on est dans un restaurant et tout ça puis qu'elle commence à chantonner tout à coup…

Isabelle Morizet : C'était l'évidence nue.

JJG : C'est quelque chose d'inouï. Qui ne ressemble à aucune autre. Et alors là tout à coup, j'ai vu ces journalistes si expérimentés, si cyniques, revenus de tout, se liquéfier et tout à coup comprendre ce que c'est qu'une voix exceptionnelle.

Isabelle Morizet : Le triomphe planétaire de Céline Dion l'a propulsée, on le sait, tout en haut du star-system. Vous, Jean-Jacques Goldman, le star-system, vous avez décidé de le contourner, de ne pas lui donner prise. Comment votre amitié s'accommode-t-elle finalement de modes de vie si différents ?

JJG : C'est curieux, parce que... c'est une bonne question, parce que pour Céline par exemple, ils ont une vie de Las Vegas, ils habitent sur une île avec un château mais quand on se rencontre, elle c'est vraiment, elle et René d'ailleurs, c'est vraiment des gens qui sont restés… On a l'impression qu'ils vivent tout ça un peu émerveillés, comme si c'était pas à eux.

Isabelle Morizet : Avec la proportion de l'émerveillement de l'enfance justement ?

JJG : Voilà mais ils sont restés extrêmement tendres, extrêmement attentifs et surtout sur des valeurs fondamentales qui sont celles de la fidélité, de l'amitié, et d'une vraie tendresse pour les gens qui les entourent. Ce qui les empêche pas d'être à fond dans tout ce qui est un peu kitsch et strass.

Isabelle Morizet : Vous allez régulièrement la voir, Céline Dion, dans son eldorado américain, Las Vegas ?

JJG : Régulièrement non mais de temps en temps, oui je suis allé la voir ou ils viennent et on se croise ou on se téléphone pas mal mais jamais pour parler de musique, juste parce qu'il est arrivé quelque chose de triste ou qu'il est arrivé quelque chose de bien mais ils sont toujours présents et toujours attentifs.

Isabelle Morizet : Alors une petite question d'ordre technique. J'aimerais savoir pourquoi les chansons que vous avez composées pour Céline Dion, Jean-Jacques Goldman, sont-elles enregistrées dans les versions anglaises systématiquement deux tons au dessus des versions françaises ?

JJG : Alors ça c'est une question technique, mais si vous parlez avec n'importe quel chanteur qui chante dans les deux langues, les sons anglais sont plus faciles à pousser que les sons français. Voilà et puis en plus, même dans le sens, on peut plus crier un "I love you" que un "Je t'aime", tout de suite ça donne une autre connotation donc naturellement, y a une différence de tessiture.

 

- 3ème partie (2,4 M) 

Isabelle Morizet : Vous avez écrit pour Céline Dion mais vous avez écrit également pour Carole Fredericks et puis pour Patricia Kaas. Ecrire pour une femme, c'est un exercice qui vous plaît ?

JJG : Oui oui.

Isabelle Morizet : Pourquoi ?

JJG : Ben je connais bien le sujet. Je l'ai étudié très longtemps.

Isabelle Morizet : Vous l'avez étudié très longtemps ?

JJG : C'est un sujet qui m'intéresse beaucoup et qui m'a toujours beaucoup intéressé.

Isabelle Morizet : Pour Patricia Kaas vous avez signé une chanson d'une sensibilité extrêmement féminine qui avait pour titre "Je voudrais la connaître" et qui livrait tout le vertige des questions qu'on se pose sur une rivale, quel regard vous portez sur les femmes aujourd'hui ?

JJG : Ca c'est spécifique ça, c'est vraiment une espèce de perversité qui est spécifiquement féminine de vouloir savoir comment elle est, si elle est blonde, si elle est grande, si elle est grosse…

Isabelle Morizet : Mais développée par un garçon, c'est étonnant !

JJG : Mais parce que je l'ai constaté, je l'ai pas inventé. Alors que nous on a juste envie de pas le voir le type, là. Surtout pas le croiser !

Isabelle Morizet : Vous les croyez plus sages que les hommes les femmes ou pas ?

JJG : Quand même oui. Je pense qu'il y a rien de plus con qu'un homme. Je vois, quand on part en tournée, quand on les laisse sans contre pouvoir féminin, ça donne l'Afghanistan où ils se battent comme quand ils jouaient au gendarme et au voleur avant sans aucune raison, juste avec le plaisir de se battre comme des enfants. Y a vraiment que le pouvoir de la femme qui peut tempérer ces…

Isabelle Morizet : Vous avez dit le contre pouvoir, donc le contre pouvoir féminin est finalement apaisant, il est salutaire.

JJG : Ah ben ça c'est pas moi qui le constate là, c'est un peu le sociologue qui pourrait vous dire ça.

Isabelle Morizet : Vous avez fait fac de sociologie ?

JJG : Oui. Plus dans l'histoire et dans la géographie, plus le pouvoir des femmes est élevé, plus les sociétés sont paisibles ça c'est je pense la seule constante qu'on peut constater. C'est mieux en Norvège qu'au Soudan ça c'est sûr !

Isabelle Morizet : Alors on a parlé de productions pour des artistes féminines mais par exemple produire Johnny, ce que vous avez fait pour l'album "Gang", "Lorada", j'imagine qu'il s'agit d'une aventure quand même extrêmement différente.

JJG : Oui.

Isabelle Morizet : Quel goût ça vous a laissé ?

JJG : Ah c'est une personnalité très complexe. C'est vraiment une star qui presque ne s'appartient plus.

Isabelle Morizet : Il ne s'appartient plus Johnny ?

JJG : Enfin je ne sais pas mais il appartient aux autres, il appartient à l'image, à son image, il appartient … C'est difficile d'aller le retrouver lui-même. Je pense que c'est difficile pour lui, lui-même, de se retrouver donc ça peut être la personne la plus généreuse du monde, et puis la personne la plus désespérée aussi, la personne la plus obéissante et aussi la personne la plus absente donc euh…

Isabelle Morizet : Absente ?

JJG : Oui c'est un peu compliqué...

Isabelle Morizet : Vous avez choisi d'écouter Yannick Noah.

JJG : Oui.

Isabelle Morizet : "Les lionnes".

JJG : Oui.

Isabelle Morizet : C'est un ami Yannick ?

JJG : Alors écoutez, c'est un hasard mais celui qui a composé "Les lionnes" c'est le même que celui qui a fait "Sous le vent" et là je m'étais pas rendu compte de ça. C'est un très bon compositeur.

Isabelle Morizet : On trace le cercle des amis, n'est-ce pas ?

JJG : Oui.

Isabelle Morizet : On écoute Yannick Noah et on retrouve tout de suite après, Jean-Jacques Goldman.

[Yannick Noah - "Les lionnes"]

Isabelle Morizet : Alors cet après-midi, je reçois Jean-Jacques Goldman qui n'est pas venu seul. Jean-Jacques, vous avez tenu à partager cette émission avec un artiste pour lequel, je sais, vous avez la plus haute estime, il s'agit de Dan Ar Braz. Bonjour Dan.

Dan Ar Braz : Bonjour.

Isabelle Morizet : J'aimerais, Jean-Jacques Goldman, que vous présentiez à la fois l'homme et l'artiste au travers de ce qui vous, vous touche particulièrement.

JJG : Ben c'est très facile parce que y a pas trop de différences entre l'homme et l'artiste.

Isabelle Morizet : C'est vrai ?

JJG : Donc l'artiste est l'homme et l'homme est l'artiste, c'est ce qu'il y a de particulier chez Dan.

Isabelle Morizet : Et alors quel homme et quel artiste se retrouve chez la même personne ?

JJG : C'est un homme très intègre et dans sa musique et dans sa vie mais en même temps très ouvert. C'est exactement ce qu'on souhaite. Quelqu'un qui a toujours poursuivi son chemin sans faillir tout en étant un iconoclaste qui a été l'un des premiers à faire de la guitare rock avec des musiques traditionnelles. Je suppose que dans ce cas là, tout le monde lui est tombé dessus. C'est à dire et le rocker et les traditionalistes, et lui c'était son chemin, et puis qui n'a jamais conjugué sa vie avec l'arrivée d'un succès tout en étant super content quand il arrive. Et le succès est arrivé naturellement donc d'abord avec l'attache des celtes je pense, mais parce que, franchement, y avait personne d'autre pour prendre cette place là. Parce que cette place là il l'avait signée de 30 ans de vie donc personne peut prendre cette place là.

Isabelle Morizet : Avant de me tourner vers Dan Ar Braz, Jean-Jacques Goldman, sur votre nouvel album, Chansons pour les pieds, vous avez fait jouer le bagad de Kemperle, enregistré à l'école nationale de musique de Lorient. En fait, cette musique celte, qu'est-ce qu'elle réveille de particulier en vous ?

JJG : Moi je pense qu'elle est un peu incluse dans le blues, tu m'arrêtes mais j'ai l'impression que tu dois mieux savoir que moi, mais dans le blues y a quand même un mélange entre la musique africaine et puis cette musique des irlandais qui sont arrivés et tout ça, non ?

Dan Ar Braz : Elle s'explique qu'elle ne s'explique pas. Enfin dans les années 60 tous les groupes dont tu en citais beaucoup étaient les John Martin, les Bird Yanch, les Van Morrison, les Rory Gallagher, les Beatles dont 2 des Beatles ont des origines donc toute cette musique des Bee Gees, James Taylor qui est écossais, donc cette musique elle était là, moi je le savais pas c'est Stivell qui m'a appris à la découvrir. Les chants de Pit Sieger qui était inspiré de la tradition irlandaise…

JJG : Oui il y a des connexions.

Dan Ar Braz : Voilà les 40 millions d'irlandais qui ont émigrés vers l'Amérique, ont fait que la musique américaine est extrêmement celtique et dans ta musique aussi il y a des choses qui viennent de là mais ça n'a aucune importance, c'est là. Moi j'aime bien cette phrase de Léo Ferré où il dit "Ce qui me plaît en toi, c'est ce que j'imagine", c'est ça qui me plaît dans la musique celtique, c'est ce que j'imagine, ça permet d'imaginer quelque chose, c'est une façon de voir les choses.

Isabelle Morizet : Alors Dan Ar Braz, on vous connaît depuis l'album baptisé "L'héritage des celtes", l'hiver dernier vous êtes réapparu avec un album exclusivement instrumental, pas très éloigné de l'univers des Shadows, un album qui a pour titre, "La mémoire des volets blancs". Qu'est-ce qui a provoqué ce virage musical ?

Dan Ar Braz : Je suis très heureux d'être là aux côtés de Jean-Jacques, je suis très heureux qu'il m'ait invité et c'est pour moi un grand privilège d'être à côté d'un des chanteurs les plus populaires de ce pays, et de présenter un album qui n'est pas un album instrumental parce que quand on dit album instrumental ça veut dire, ça passe pas en radio, c'est mieux au tiroir. C'est un album de chansons instrumentales et je revendique le droit de chanter avec ma guitare.

Isabelle Morizet : Votre guitare est votre voix.

Dan Ar Braz : C'est à dire, après avoir revendiqué l'universel, après avoir parlé tellement du droit à la différence, maintenant, le fait d'avoir des albums sans paroles, ça me permet de m'ouvrir vers l'univers entier.

Isabelle Morizet : Au sujet de la guitare, Dan Ar Braz, la guitare qui remplace donc votre voix dans cet album, vous dites "Elle était mon arme avant, aujourd'hui elle est redevenue mon outil". Pourquoi ?

Dan Ar Braz : Absolument c'est ???? qui disait "This machine can kill fascist" il avait écrit ça sur sa guitare, que cet instrument pouvait tuer les fascistes donc maintenant c'est un outil. En fait, je me sens très bien, je trouve que d'ailleurs je me sens très proche de Jean-Jacques à ce niveau là, d'être un artisan, un artisan de la musique le plus simplement du monde. Y a des gens qui prennent du temps pour faire des choses et les artistes prennent du temps pour observer une lumière, un jour ou un autre alors que d'autres n'ont pas le temps de le faire et quand ils rentrent le soir chez eux, ils sont très heureux d'écouter une chanson ou une musique qui leur donne justement ce qu'ils n'ont pas eu le temps de vivre à un autre moment de la journée.

Isabelle Morizet : Alors, Jean-Jacques Goldman, cette émission est ponctuée uniquement des musiques que vous souhaitiez entendre, dans l'album de Dan Ar Braz, "La mémoire des volets blancs", vous avez choisi d'écouter un morceau intitulé "Faces of Spain" mais les raisons pour lesquelles vous aimez par exemple ce titre là ?

JJG : Ah ça, une fois de plus, y a pas de raisons. Y en a encore moins parce que je peux pas expliquer avec le texte et tout ça, c'est à dire vous passez le disque en train de faire un gâteau ou en train de faire votre ménage ou en train de bouquiner ou quelque chose comme ça, tout à coup vous fermez votre bouquin, au moment où celle-ci passe, vous savez pas pourquoi, parce que tout à coup elle vous happe. J'encourage vraiment tout le monde à prendre ce disque parce que c'est comme quand on ouvre un peu les rideaux, y a juste la pièce un peu plus belle quand on entend ça et puis au cours d'une lecture, tout à coup, voilà y a un titre qui arrive qui va en happer un ou qui va en happer l'autre.

Isabelle Morizet : Alors laissons nous happer, "Faces of Spain" sur l'album "La mémoire des volets blancs" de Dan Ar Braz, à tout de suite.

JJG : Y a la paix dans happer.

[Dan Ar Braz - Faces of Spain]

Isabelle Morizet : On se promène cet après-midi en compagnie de Jean-Jacques Goldman. Jean-Jacques Goldman, vous avez trois enfants, je crois de 25, 22 et 16 ans. Qu'est-ce que vous avez tenté de leur transmettre mais surtout que vous ont-ils appris sur la vie ?

JJG : Ce que j'essaie de leur transmettre, d'abord c'est d'être heureux, enfin d'être gai, c'est ce dont on a parlé…

Isabelle Morizet : L'héritage donc justement.

JJG : Voilà, l'héritage du bonheur.

Isabelle Morizet : Voilà... que vous avaient transmis vos parents.

JJG : Voilà, de pas trop… J'essaye, du fait de ma position vis à vis de leurs copains, de leurs profs, de tout ça etc. de pas être trop pesants pour eux. Voilà et puis ça c'est vraiment un problème spécifique à eux.

Isabelle Morizet : Ca peut être complexe d'avoir pour père Jean-Jacques Goldman ?

JJG : Je pense ça peut l'être un peu ouais. Et donc d'essayer de les faire être ce qui sont eux, d'essayer de les faire… voilà.

Isabelle Morizet : De quelle oreille écoutent-ils votre musique ?

JJG : D'abord, pas du tout intéressés dans le sens où ils écoutent que du R&B, du rap, de la techno, des trucs comme ça, mais avec attention, ils font une petite exception pour mes chansons, ils l'écoutent une fois ou deux fois, ils lisent un petit peu les textes, ils me disent ce qu'ils en pensent et puis après ils repassent à leur musique.

Isabelle Morizet : En dehors du monde musical, y a des artistes dont la rencontre vous a fortement marqué ?

JJG : Y a des personnages.

Isabelle Morizet : Des personnages ?

JJG : Oui que j'ai pas forcément rencontrés mais des personnages que je trouve magnifiques, enfin exemplaires.

Isabelle Morizet : Comme... ?

JJG : Je sais pas, Jean-Marie Djibaou par exemple, enfin moi en général, je suis fasciné par des hommes qui ont donné leur vie pour le bien public, quelqu'un comme Anwar al-Sadat par exemple, des gens qui ont comme une espèce de conviction intime de ne pas être banal, tout à coup de changer le cours de l'histoire parce que c'était le cours de l'histoire et pas simplement de faire de l'électoralisme pour aller dans le sens de la…

Isabelle Morizet : Vous aimeriez posséder ce pouvoir, cette force, ce courage, cette fougue ?

JJG : J'y pense même pas. Non non je me contente d'admirer, c'est tellement rare puisque les hommes qui ont du pouvoir, en général, essayent la plupart du temps de le conserver et d'aller dans le sens du vent et quand on voit des hommes qui, tout à coup, d'ailleurs qui le payent très cher dans ces cas là, changent le cours de l'histoire parce qu'ils l'ont décidé, envers et contre tout et envers et contre leur sécurité, donc je donne ces deux exemples là ou ça peut être Mandela par exemple ou Luther King évidemment, je trouve ça sublime. Je suis très respectueux de ces gens là.

Isabelle Morizet : Est-ce qu'il y a des rencontres, peut-être anodines, qui ont vraiment eu du poids sur votre vie d'homme ?

JJG : Moi je pense que la rencontre avec tous mes profs, avec toute l'école a été fondamentale. C'est eux qui vous donnent confiance, c'est eux qui vous font les répressions de base qui vous évitent ensuite d'être réprimé en prison ou dans l'existence. Tout ce qui est éducatif, que ce soit donc aux scouts, ou que ce soit à l'école, voilà je suis super reconnaissant à ces gens là même si ça n'a pas été forcément des moments de vacances pour moi.

Isabelle Morizet : On vous dit, fidèle à vous même, mais avec le temps vous avez le sentiment que votre regard sur le monde change ?

JJG : Forcément oui.

Isabelle Morizet : Et en changeant, il prend quelle couleur ?

JJG : Non non il change pas de couleur.

Isabelle Morizet : Est-ce que vous avez le sentiment qu'il est, par exemple, dans la nature de l'homme de faire guérir un jour ce monde ? Puisque vous, au travers de vos chansons, vous essayez de distiller les vibrations positives.

JJG : Oui. Enfin moi j'ai une vision assez optimiste des choses.

Isabelle Morizet : Vous y parvenez ?

JJG : Non mais ce sont des faits ça. Ce sont pas des convictions. Ce sont des faits, c'est à dire on vit aujourd'hui jusqu'à 83 ans dans notre pays et avant on vivait jusqu'à 40, au début du siècle, 40 ou 45 ans. Les gens ont plus de pouvoir, mon père n'avait pas la sécurité sociale, voilà ces choses là elles existent. Ce sont des faits ça. Actuellement y a deux conflits en Somalie et puis en Yougoslavie qui ont été réglés enfin… ou relativement réglés. A Beyrouth les gens ont cessé de se massacrer. Je pense qu'on va quand même plus vers, ça ce sont des faits, on va plus vers des solutions que vers des déteriorations.

Isabelle Morizet : Vous rentrez régulièrement dans des synagogues pour vous recueillir ?

JJG : Non non mais j'ai pas du tout été élevé religieusement. Donc je crois que je suis rentré deux fois dans une synagogue pour des mariages mais j'ai pas du tout de culture religieuse.

Isabelle Morizet : Vous enviez ceux qui croient, Jean-Jacques Goldman ?

JJG : Oui oui j'aimerai bien oui. Ca doit être super.

Isabelle Morizet : Vous aimeriez ?

JJG : Non mais, en dehors du côté mystique et spirituel, je crois que le fait de faire partie d'une communauté, c'est quelque chose qui vous rend plus fort.

Isabelle Morizet : Avant de nous quitter, j'aimerais juste revenir sur cette phrase.

JJG : Juste revenir !

Isabelle Morizet : Oui. "Les chansons sont plus belles que ceux qui les chantent", c'est vous qui l'affirmez. Eh bien c'est pas toujours vrai, je recevais aujourd'hui Jean-Jacques Goldman.

JJG : Vous aimez pas mes chansons alors ?

Isabelle Morizet : Mais j'aime vos chansons et celui qui les chante justement. Merci de vous être livré ainsi.

JJG : Ben merci !

Isabelle Morizet : On va se quitter avec "Tournent les violons" qui figure sur le nouvel album "Chansons pour les pieds". Je rajouterai pour le cœur. A bientôt Jean-Jacques Goldman.

JJG : Merci.

[Jean-Jacques Goldman - Tournent les violons]

 

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